1748-10-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Leszczyńska, queen of France.

Madame,

Je me jette aux pieds de V. M. Vous n'assistez aux spectacles que par condescendance pour votre auguste rang, et c'est un des sacrifices que votre vertu fait aux Bienséances du monde.
J'implore cette vertu mesme, et je la conjure avec la plus vive Douleur de ne pas souffrir que ces spectacles soient déshonorés par une satire odieuse qu'on veut faire contre moy à Fontainebleau sous vos yeux. La Tragédie de Sémiramis est fondée d'un Bout à L'autre sur la Morale la plus pure et par là du moins elle peut s'attendre à votre protection.

Daignés considérer madame, que je suis domestique du Roi, par Conséquent le vôtre; mes Camarades les gentilshommes ordinaires du Roi, dont plusieurs sont Employés dans les cours étrangères, et d'autres dans des Postes très honnorables, m'obligeront à me défaire de Ma charge, si j'essuye devant votre majesté, et devant toute la famille Royalle, un avilissement aussi cruel. Je conjure votre majesté par la Bonté et par la grandeur de son âme, par sa piété, de ne me pas livrer ainsi à mes Ennemis ouverts et cachés, qui après m'avoir poursuivi par les Calomnies les plus atroces, veulent me perdre par une flétrisure publique.

Daignés songer, madame, que ces parodies satiriques ont été défendues à Paris plusieurs années. Faut il qu'on les Renouvèlle pour moy seul, sous les yeux de votre majesté? Elle ne souffre pas la médisance dans son cabinet; L'autoriseroit t'elle devant toute la cour? Non madame, votre cœur est trop juste pour ne pas se laisser toucher à ma prière et par ma douleur, et pour faire mourir de douleur et de honte un ancien serviteur, et le premier sur qui sont tombées vos Bontés. Un mot de votre Bouche Madame à mr le duc de Fleury et à Mr de Maurepas, sufira pour Empêcher ce scandale, dont les suites me perdroient. J'espère de votre humanité qu'elle sera touchée de mon état, et qu'après avoir peint la vertu je serai protégé par elle.

Je suis avec le plus profond Respect,

Madame,

de votre majesté,

le très humble et très obéissant serviteur et sujet,

de Voltaire