1748-07-20, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Que dites v͞s de moi mon cher ami, qui meurs d'enuie de v͞s escrire depuis que ie suis ici, et qui n'ai pas encore pu en trouuer le moment.
On a de tout ici, hors du tems. Il est vrai que les 24 heures ne sont pas trop p͞r répéter 2 ou 3 opera et autant de comédies. Ie suis transportée de joie de ce que le roy fait p͞r Semiramis, ie v͞s asure que votre petit abé est un garçon charmant. Enfin Semiramis sera donc jouée sans votre ami et sans vous. A la manière dont il m'a rendu comte de la dernière répétition, où il m'empêcha inhumainem͞t d'aller, elle sera très bien jouée. Il ne veut pas absolum͞t y aller, car quoique ie ne puisse l'y suiure ie lui ai laissé sur cela toute liberté. Il aime mieux v͞s receuoir à Cirey à votre pasage, et moi i'y trouue bien mieux mon compte. Y viendrés v͞s mon cher ami, v͞s ne pouués doutter que ie ne le désire, ce sera vn grand plaisir p͞r moi de passer quelques jours auec m͞e Dargental et v͞s, et de joüir de Cirey auec les deux persones du monde auec lesquelles j'aime le mieux à joüir de tout. Il ni a que 14 lieuës d'ici, ainsi il me sera fort aisé de m'i trouuer p͞r v͞s receuoir. I'ay laissé à votre ami le soin d'aranger cela auec vous, mais ie ne veux céder à persone de v͞s dire le plaisir que ie me fais de v͞s y voir.

J'aurois bien vne autre proposition à v͞s faire, ce seroit de passer par ici. C'est le plus beau lieu du monde, il ni a aucun étiquette parce que cela est réputté campagne. Le r. de P. est très aimable, et d'une bonté qui enchante. M͞e de Boufflers m'a chargé de v͞s mander et à m͞e Dargental qu'elle en seroit enchantée. Jugés si ie le serois, car ie v͞s remesnerois ensuite jus qu'à Cirey. V͞s seriés trop aimables l'un et l'autre si v͞s pouuiés faire cet effort, ie v͞s asure que v͞s ne v͞s en repentiriés pas.

Ie ne puis me refuser de v͞s enuoier des vers d'un home de notre société que v͞s conoissés déjà par l'épître à Cloé. Ie suis persuadée qu'ils vous plairont. Il meurt d'enuie de faire conoissance auec vous et il en est très digne. Ie comte bien v͞s le mesner à Cirey. Votre ami, qui l'aime beaucoup, veut lui faire auoir ses entrées à la comédie p͞r Semiramis, et assurém͞t ie ne crois pas que les comédiens y répugnent vu tout ce qu'il leur procure. Ie v͞s demande cependant votre protection p͞r cette affaire, c'est vn home de condition de ce payis cy mais qui n'est pas riche, qui meurt d'enuie d'aller à Paris, et à qui ses entrées à la comédie feront vne grande diférence. I'en veux laisser le mérite à votre ami ainsi ie v͞s prie de ne lui point dire que ie v͞s en aie escrit. Adieu mon cher ami, cette lettre v͞s est comune auec m͞e Dargental, ainsi que le tendre attachem͞t que ie v͞s ai voué p͞r ma vie.

Notre petit poète v͞s prie de ne point doner de copies de ses vers à Plombieres parce qu'il y a beaucoup de lieutenants colonels lorains.