1748-07-15, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

On ne peut point escrire en l'air des choses aussi tendres que lors qu'on a tout son loisir, d'ailleurs j'ay l'âme fort agitée, ie vois qu'il n'i a aucune resource auec qui v͞s saués, et que les bons procédés ne font pas plus sur elle que la colère, ie crois qu'elle les craint encore dauantage, ie crois qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour éloigner le roy de moi, elle n'i a pas réussi mais elle y réüssira.
Mes bons procédés ne m'ont attiré que des aigreurs, elle ne veut pas que n͞s pasions notre vie ensemble, cela est sûr, mais si v͞s m'aimés autant que v͞s le dites, autant que v͞s le deués et autant que ie v͞s aime n͞s n͞s en paserons bien. J'ay pasé ma vie dans l'indépendance et asurém͞t, ie ne choisirois pas ses chaines, ie ne veux dépendre que de mon goût et de mes plaisirs, il n'i en a point p͞r moi sans vous, cela est sûr. Ie n'ai point parlé de v͞s, et ie me garderai d'en parler, elle sera assés à plaindre d'auoir à se reprocher de v͞s auoir manqué, et i'aime bien mieux qu'elle ait des remors, que d'être obligée à la reconnoissance, son aigreur, ses farces, son ton sont inconceuables, et ie v͞s assure qu'il faut songer à ne l'en plus embaraser, et à ne s'en plus ocuper, ie ne veux plus l'être que du plaisir de m'ocuper de v͞s, du soin de v͞s voir toute ma vie, et de ne v͞s jamais laiser doutter de mon amour.