De Lunéville [April 1748]
Le plaisir d'aller vous surprendre au Chambonin, madame, du moins l'espérance que j'en avais, m'empêche depuis longtemps d'avoir l'honneur de vous écrire.
J'ai toujours compté partir de jour en jour, & quitter la cour de Lorraine pour aller goûter auprès de vous les charmes de l'amitié & de cette vie que vous m'avez fait aimer. Je n'attends plus qu'une lettre de votre amie madame du Chastelet& de madame de Roncieres pour partir. Permettez donc, madame, que je vous adresse celle-ci que j'écris à madame de Roncieres, & que je vous supplie de lui faire tenir par un exprès, afin qu'une réponse prompte me mette en état d'aller bientôt vous faire ma cour. Une des plus agréables nouvelles que je puisse jamais recevoir, serait que votre fortune fût un peu augmentée. Il me semble que c'est la seule chose qu'on puisse vous désirer. Pardonnez ce petit mouvement qui est peut-être d'indiscrétion, au tendre attachement que je vous ai voué pour jamais. Quand on aime véritablement, on se passe hardiment des choses dont on ne dit mot au reste du monde. Nous attendons tous les jours ici une bataille gagnée ou perdue. Il y a ordre aux portes de ne point laisser passer des courriers extraordinaires. Cet ordre fait penser qu'on veut donner le temps au courrier de l'armée de porter la nouvelle. D'ailleurs, on sait ici très peu de chose de la façon dont les armées sont postées. Le lansquenet & l'amour occupent cette petite cour. Pour moi, quand la tendre amitié m'occupera au Chambonin, je serai bien content de mon sort. Comptez, madame, pour toute ma vie, sur mon tendre & respectueux attachement.