Du 2 mars 1778
Il n'y a point de circonstance où j'aie plus regretté de n'être point à Paris que celle où j'aurais pu être témoin de votre bonheur de vous y retrouver avec monsieur de Voltaire.
Permettez moi du moins de vous féliciter et de prendre part à un événement d'autant plus cher à votre cœur, qu'il fait l'objet de la joie publique; après un triomphe si flatteur, si mérité, il n'y a plus rien à ajouter à la gloire de monsieur de Voltaire et à votre propre satisfaction, qui en est pour lui le prix le plus doux, que de vous en voir jouir et la partager longtemps ensemble. Quel avantage aussi pour madame la marquise de Villette d'avoir été accompagnée par vous, madame! de n'avoir point à essuyer les regrets d'une séparation si douloureuse pour l'une et pour l'autre, de pouvoir vous faire retrouver votre maison dans la sienne, et d'augmenter tous ses plaisirs par celui de satisfaire sa reconnaissance. C'est réunir tout à la fois ce qu'on peut désirer et que personne n'est plus digne de sentir qu'elle. Je vous prie de lui faire agréer l'assurance de mes respects et de dire à son mari très aimable et très aimé que j'ai fait expédier suivant ses intentions à m. Taboureau, à Lyon, les cinquante bouteilles [de] vin muscat de Frontignan qu'il j'avait fait la grâce de me demander, et il peut lui donner ses ordres pour leur destination.
Je dois recevoir dans peu de jours, madame, les grappes de dattes que j'ai fait venir pour vous de Tunis, et comme ce fruit est utile à votre santé, qu'il l'est peut-être pour le moins autant à Paris qu'à Ferney, et que j'ai grand intérêt qu'il vous parvienne en bon état, je vous prie de m'indiquer une adresse pour vous en faire l'envoi avec sûreté par le courrier. A défaut, je vous l'expédierai par la diligence, qui serait la voie la plus prompte; je compte de recevoir aussi bientôt les oranges que j'ai demandées à Malte pour votre provision, et je vous serai obligé de me mander où vous souhaitez que je vous les adresse. Comme celles-ci formeront une caisse plus volumineuse, je me servirai de la voie des rouliers.
Nos dames me chargent de les rappeler à votre obligeant souvenir et de vous faire agréer l'assurance de leurs respects. Si votre santé se trouve bien du mouvement du voyage et que vous retourniez à Ferney, ce que les bons habitants de Paris qui vous tiennent à présent auront bien de la peine à vous permettre, ceux d'ici seraient bien flattés d'être honorés d'une visite de votre part.
Je suis avec le plus respectueux attachement, etc.