1778-01-28, de Dominique Audibert à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai l'honneur de vous remettre ci-inclus la note des diverses provisions que vous m'avez paru désirer; elles ont été choisies avec soin, mais quelque bonnes qu'elles puissent être, elles seront au dessous de mon intention et de la perfection que doivent avoir les choses qui vous sont destinées.
J'ai mis, à mon retour ici, d'autant plus d'empressement à cet envoi pour Ferney, que c'était un moyen de prolonger le souvenir si flatteur des bontés dont vous m'y avez honoré et de me procurer l'avantage de vous en renouveler toute ma reconnaissance. Je sens si vivement la faveur distinguée de l'accès que vous avez daigné m'accorder auprès de vous, qu'il ne me reste à désirer, après l'avoir obtenu, qu'à vous témoigner combien j'y suis sensible, combien, après en avoir joui, je regrette d'en être privé. Mais on n'est jamais longtemps parfaitement heureux. Il n'est réservé qu'à vous seul monsieur, de l'être sans cesse, parce que vous l'êtes toujours par vous même et par tous ceux que vous savez si bien rendre heureux, en les approchant de vous.

M. le marquis de Villette m'a mandé que j'ai été mal servi dans le vin de Malaga que je vous avais fait adresser ici en mon absence. Je m'en suis plaint à mon pourvoyeur, qui, sans doute, n'a rien moins de délicat que le goût puisqu'il m'a assuré que c'était du meilleur; mais comme vous n'en pensez pas de même et que d'ailleurs la quantité excède votre demande, je vous prie d'en faire mettre en réserve cinquante bouteilles que je ferai retirer, à moins que m. de Villette qui s'offre obligeamment de s'en charger, ne soit bien aise de les garder.

Je me suis enfin fait payer, à mon passage à Aix, de votre rente sur m. le marquis de Saint-Tropez. Je me féliciterais infiniment de pouvoir aussi bien réussir pour ce qui vous reste dû par messieurs Gilly et Fornier, de Cadix; tout ce qu'on vous fait perdre ne vous manque que parce que c'est l'enlever aux emplois utiles auxquels votre bienfaisance le destine; aussi tout votre bien est un fonds public sur lequel chacun est intéressé à veiller.

Je prie madame Denis de vouloir bien agréer l'assurance de mes respects. J'espère de pouvoir lui envoyer incessamment les dattes en grappes, que j'attends de Tunis, et ensuite sa provision d'oranges que j'ai demandées à Malte. Après avoir eu l'honneur d'être admis aux délices de votre table, il m'est encore fort agréable de pouvoir y contribuer.

Je suis avec un profond respect, etc.