1756-12-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je vous souhaitte de bonnes et de belles années, c'est à dire celles aux quelles vous êtes acoutumé Monseigneur, et je m'y prends tout exprès un peu à l'avance, car vous allez être accablé de lettres dans ce temps là.
Je me trompe encor, ou vous entrez en exercice de premier gentilhoe de la chambre, ou vous instalerez monsieur le duc de Fronsac, ce qui ne vous occupera pas moins; et qui sait si au printemps vous n'irez pas encor commander quelque armée? qui sait si vous ne ferez pas gagner des batailles à L'impératrice? Vous n'avez pas déplu à sa mère, vous seriez le vangeur de la fille. Les grenadiers français ne seraient pas fâchez de vous suivre et d'opposer leur impétuosité aux pas mesurez des prussiens.

Mylord Maréchal qui m'est venu voir dans mon trou ces jours passez, dit des choses bien étonnantes. Il prétend qu'à la dernière bataille ce sont huit bataillons seulement qui ont soutenu tout l'effort de l'armée autrichienne. Je m'imagine que contre vous il en aurait fallu un peu d'avantage. Je voudrais vous y voir, tout paralitique que je suis. Il me semble que vous êtes fait pour notre nation et elle pour vous.

Nous avons icy le frère d'un nouvau secrétaire d'état d'Angleterre. Il chante vos louanges et non pas celles de son pays. Il vient chez moy baucoup d'anglais. Jamais je ne les ai vus si polis. Je pense qu'ils vous en ont l'obligation.

Commandez des armées ou donnez des fêtes. Quelque chose que vous fassiez vous serez toujours le premier des français à mes yeux, et le plus cher à mon cœur qui vous apartient avec le plus profond respect. Ma nièce partage mes sentiments. J'écris rarement, mais que voulez vous que dise un solitaire, un Suisse, un malingre?

V.