1747-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, vous savez que les dieux sont partagez au sujet de la guerre des rats et des grenouilles.
La Tournelle représente; et le conseil est embarassé et moy aussi. Voylà bien du bruit pour une omelette. Pouriez vous par votre prudence apaiser cette illustre noise? pouriez vous voir M. l'abbé de Chauvelin, et le prier de dire à M. le président de Chauvelin, que je suis très disposé à porter l'affaire au parlement, que loin de décliner un tribunal aussi respectable, je ne cherche qu'à m'y soumettre, que je peux même aporter quelque facilité au désistement que le conseil pouroit donner de l'arrest qu'il a rendu, que je souhaitte passionément que tous les conseillers soient instruits de mes intentions, de mon respect, et de ma confiance, et que sans oser faire aucune proposition qui eut le moindre air d'une condition mise au renvoy de l'affaire pardevant la Tournelle, je me flatterois seulement qu'on mettroit plus de décence dans la conduite des avocats, et qu'on ne soufriroit pas le bâtelage qui a déshonoré le tribunal du lieutenant criminel. J'oserois même demander que l'affaire se traitast par information, et non à l'audiance. En un mot mon cher ange, je voudrois que mes sentiments parvinssent plustôt que plus tard à mrs de la Tournelle, par vous, par M. le président de Meyniere, et par mr l'abbé Chauvelin.

Dans l'incertitude où je suis du tour que M. le chancelier donnera à l'affaire de L'évocation, au premier conseil de dépêches, vous sentez combien il m'est important que la Tournelle qui peut me juger, ne soit pas aigrie. Je vous suplie donc instamment mon ange gardien, d'étendre vos ailes plus que jamais. La conciliation est une de vos vertus, et il me semble que voylà une belle occasion d'employer, le talent que vous avez de persuader l'esprit et d'adoucir l'humeur. Je ne veux ny ne dois rien donner par écrit, mais je vous demande en grâce de faire dire à ces faiseurs augustes de représentations, que je désire sincèrement les avoir pour juges. Mille tendres respects à madame Dargental.

V.