ce mardy 2 [c. January 1746] au soir
Ma chère enfant votre lettre me console du malheur que j'ay d'être à Versailles, de tous les soins que je suis obligé de me donner pour obtenir les plus modestes demandes et pour prévenir le mal qu'on est toujours prest à faire.
Je suis bien sot et bien malheureux de ne pas vivre avec vous tranquille et ignoré, loin des rois, des courtisans et des baladins. Ces réflexions me désespèrent. Je rougis d'être si philosofe en idée, et si pauvre homme en conduitte. Il n'y a de raison ny de bonheur que pour ceux qui vivent avec leurs amis. Je compte revenir bientôt; votre présence dissipera tous mes chagrins. Mais quelle destinée d'être toujours si loin l'un de l'autre! de se chercher sans presque se voir! Ah que je suis las de ne pas demeurer avec vous dans la même maison! Il me semble que vous m'adouciriez les mœurs. Bon jour ma chère enfant. Ménagez bien celuy qui est en Flandre, et aimez un peu celuy qui est à Versailles et qui enrage.