1765-01-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Paul Claude Moultou.

J'écris précisément suivant vos désirs mon cher philosophe, qui l'êtes, qui le serez, et qui ne serez plus prédicant.
Je demande un passeport pour mr de Moultou, pour mr son fils, bourgeois de Geneve cy devant ministre de l'église prétendue réformée, made sa femme et ses enfans. Ce mot de ministre je l'avoue, me fait toujours un peu de peine. Mais enfin nous avons les promesses de Mr de Pralin.

Je vous ay dit que j'habite encor à Ferney. Cela veut dire seulement que je suis encor en vie. Non seulement je ne veux point vendre Ferney, mais je ne puis le vendre. Il appartient à ma nièce. J'ay tout donné. Vous m'écrivez toujours au seignr de Ferney. Je n'ay pas cet honneur. Je n'ay pour tout bien en propre qu'un parchemin par le quel le roy m'a conservé la charge de gentilhome ordinaire de sa chambre et un brevet de pension qu'on ne me paye point. Tous mes fonds sont assurez à mes parents; et quand je rendrai mon être aux quatre Eléments, les partages se trouveront tous faits. Je ne me suis regardé dans le passage de cette vie que comme un voiageur à qui rien n'apartient du cabaret où il a logé. J'aurais voulu seulement que Jean Jaques du fonds de son cabaret me m'eût pas fait des tracasseries dans celuy de Geneve. Sa conduitte n'est pas d'un philosofe. Il a voulu, bien en vain, paraître ce que vous êtes.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.