à Paris 22 octobre [1745]
Madame,
Sans les maladies qui m'accablent j'aurois répondu plutôt à vos bontez.
J'ay baucoup plus besoin de spécifiques que les vaches que vous honorez de votre attention. Je vous remercie madame et pour le bétail, et pour les poètes, autre espèce de bétail moins comun et d'ordinaire plus négligé. Je voudrois avoir assez de santé et de loisir pour aprendre l'allemand afin d'entendre les vers que vous aprouvez.
Vous parlez si bien notre langue madame, vous en possédez si parfaittement toutes les finesses, et votre goust est si sûr que j'admire le poème allemand sur votre parole sans crainte de me tromper. Mais je suis trop vieux, trop infirme, trop occupé pour me remettre à l'allemand. Apeine en sai-je assez pour parler aux postillons. Ce n'est pas là de quoy entendre les poètes.
Vous voyez bien madame àprésent que vous ne rendrez point foy et hommage pour vos terres, àmoins que la campagne prochaine on ne s'empare de Bruxelles. Plût à dieu qu'au Lieu de nouvelles victoires, on regardast de tous côtez la paix comme la plus belle des conquêtes. Le roy, après une bataille gagnée et six villes prises à proposé d'assembler un congrez. Que pouvoit il faire de mieux? et pourquoy les hommes sont ils assez ennemis d'eux même pour préférer le plus horrible des fléaux à un bien nécessaire. La terre et la mer sont le téâtre du carnage, sans qu'on sache bien précisément pourquoy. La véritable raison c'est que les hommes sont fous. Plaignez les dans votre hermitage et vivez heureuse; vous devez l'être puisque vous êtes au dessus des infâmes préjugez qui font à l'âme une guerre plus cruelle que celle d'Allemagne et de Flandre. Si une belle âme et baucoup d'esprit peuvent contribuer au bonheur, votre lot est le premier de ce monde.
Le mien est de vous être attaché madame avec le plus sincère respect.
V.