1745-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Je comptois bien ma chère enfant vous revoir après le spectacle à Versailles.
La lutinerie de la cour en ordonna tout autrement. On me dit qu'il falloit courir après le Roy à bride abatue, et se trouver à un certain moment dans un certain coin, pour le remercier, je ne sçai pas trop bien encor de quoy, car j'avois demandé plusieurs choses, et on me disoit qu'il me les avoit toutes acordées. On me présenta donc à sa très gracieuse Majesté, qui me reçut très gracieusement et que je remerciay très humblement. Mais faire signer des brevets est chose baucoup plus difficile, que de faire des remercimens. On dit à présent qu'il faut que je ne désempare pas jusqu'à ce que tout soit bien cimenté, scellé et consommé. J'aimerois mieux venir vous embrasser, et finir votre affaire avec Laporte que la mienne avec le Roy. Je seray honteux d'être heureux si vous ne l'êtes pas, et quand vous voudrez je parleray à M. le contrôleur général qui doit avoir quelque crédit sur les Laporte. Si vous voyez madame du Pin dites luy bien à quel point je luy suis dévoué. Si vous dites à votre sœur que je luy ay écrit dites luy qu'après vous c'est celle de mes nièces que j'aime le mieux. Vous méritez ma chère enfant des sentiments bien distinguez et je les auray assurément pour vous toutte ma vie. Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

V.