1744-10-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Henri Feydeau, comte de Marville.

Ce n'étoit pas assez monsieur que les libraires eussent imprimé sous mon nom L'ode aussi punissable que méprisable au sujet de la quelle je vous ay dénoncé la Bienvenu, il faut encor que Praut le libraire imprime et défigure mes véritables ouvrages.
Je suis bien affligé que Mr de Crebillon qui a de L'amitié pour moy ait mis son nom au bas de cette pièce sans m'en avertir, et que Praut ait pu en disposer, sans daigner m'en demander la permission.

Je suis trop jaloux de votre estime monsieur pour n'avoir pas l'honneur de vous envoyer L'ouvrage tel que le roy l'a reçu et tel qu'il a daigné l'honorer de son aprobation. Il eut la bonté de dire qu'on voyoit bien que celuylà étoit de moy, et que j'étois incapable d'avoir fait cette ode impertinente que les colporteurs même rougissoient de m'atribuer.

Oserais-je vous suplier monsieur d'ajouter vos bontez à celles du roy, d'envoyer chercher Praut le père, et de l'engager à réparer la double faute qu'il a faitte, d'imprimer mon ouvrage sans mon consentement et de L'imprimer si mal. Votre place monsieur et votre goust, vous engagent à protéger les arts. Ainsi j'ose me flater que vous pardonerez à mon importunité, et que vos bontez justifieront la confiance que j'ay en elles.

Je vous suplie d'être persuadé du respect et de l'attachement auec le quel je seray toutte ma vie

Monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire