[December 1748]
La veuve Bienvenu qui vient de ressentir l'effet le plus signalé de votre bonté, n'ayant point souffert la prison qu'elle craignait, espère encore que le détail de ses malheurs et la vérité mise dans tout son jour, exciteront en vous les sentiments de la plus vive compassion.
Pour ne rien omettre des circonstances qui ont rapport à son affaire, elle est obligée de présenter à vos yeux le détail de celles qui l'ont précédée.
Il parut en 1745, lors de la réception de m. de Voltaire à l'Académie française, un ouvrage critique contre lui. Les premiers soupçons tombèrent sur la veuve Bienvenu. M. Voltaire obtint de m. de Marville la permission de faire faire une visite chez elle; ce qui fut exécuté. Comme elle n'y avait aucune part, on ne trouva rien de ce que l'on cherchait, mais on lui saisit quelques petites brochures anciennes, imprimées sans permission. Elle fut en conséquence conduite devant m. de Marville qui l'envoya en prison, où elle resta un mois.
M. de Voltaire découvrit pendant ce temps et reconnut son innocence, il s'employa lui même pour la faire sortir de prison, mais elle avait déjà été interrogée sur les autres livres qui lui avaient été saisis, elle crut alors ne pouvoir mieux faire que de dire la vérité, en avouant qu'elle avait acheté la plus grande partie de ces livres à la chambre syndicale….
MM. les syndics et adjoints (qui avaient peut-être été surpris de la part des libraires qui avaient fait cette vente), ne se crurent pas dans le cas d'avouer de leur côté qu'ils en avaient connaissance, cela fit soupçonner que la veuve Bienvenu avait avancé une fausseté. Il y eut un arrêt du Conseil qui la condamna à 500 liv. d'amende et à une fermeture de boutique pendant 4 mois, ainsi que la veuve Delormel et son fils qui furent convaincus depuis d'avoir fait et imprimer et débiter ledit ouvrage.
L'exposé de ce fait qui est vrai jusque dans la moindre circonstance, fait voir à v. g. que la veuve Bienvenu subit alors pour une faute légère et sur un faux soupçon une amende de 500 liv., une fermeture de boutique et la prison. En quoi elle fut plus maltraitée que ceux même qui furent convaincus de la prévarication.
MM. de la Chambre syndicale, mortifiés d'avoir été compromis dans l'affaire de la veuve Bienvenu, portèrent le ressentiment contre elle jusqu'à l'exclure des ventes faites à crédit à leur chambre, ce fut alors que se voyant sans ressource, elle fut forcée de continuer l'impression des œuvres de Grécourt qui l'avait déjà épuisée et qui se trouve saisie aujourd'hui.
La veuve Bienvenu ne cherche point à s'excuser, elle vous supplie de considérer que c'est dans ces deux circonstances que se voyant chargée de quatre enfants en bas âge, privée du secours qu'elle avait eu jusqu'alors par les ventes à crédit, pressée par des billets de commerce qu'il fallait acquitter sans un fond réel, et jalouse de soutenir son crédit, elle se détermina malgré elle-même, et forcée par la nécessité à faire achever l'édition de Grécourt qui vient de lui être saisie.
En vous laissant toucher de compassion, vous tirerez de la misère la plus affreuse quatre enfants abandonnés à leur sort, et vous laisserez à cette pauvre veuve une ressource pour ne point frustrer ses créanciers, la saisie qui lui est faite l'ayant ruinée entièrement, elle vous supplie de vouloir bien ne lui point imposer de peines ultérieures, qui rendraient ses enfants et ses créanciers seules victimes de la faute où elle est tombée.
La veuve Bienvenu ne parle point ici de la brochure que l'on imprimait en même temps que le Grécourt, vous pouvez en connaître l'éditeur et l'imprimeur, et vous êtes informé qu'elle n'y avait point de part, c'est ce que peut vous attester même la personne qui l'a fait imprimer, si le repentir de sa faute peut lui faire espérer de se présenter devant vous sans encourir votre indignation et la crainte d'être inquiétée.