[c. 1 September 1744]
Monsieur,
Tout ce que j'ay apris hier touchant le libelle diffamatoire qui excite l'indignation de tout Paris se réduit à cecy:
la veuve Morel, marchande libraire, en avoit douze étalez sur sa boutique et les vendit à un seul homme;
Merigot et Bienvenu sont générallement soupçonnez dans la librairie d'avoir fait imprimer le libelle;
le fils de Ballard est vraisemblablement L'imprimeur. Il est brouillé avec son père et depuis deux ans il imprime continuellement des libelles;
je n'ay pu envoyer chez luy pour reconnaître la vignette cy jointe parce que ce jeune Ballard qui a imprimé pour les fêtes du Roy pendant la maladie de son père connoît mon écriture;
j'ay envoyé chez l'imprimeur Jorri, homme très suspect qui n'a pas voulu montrer ses vignetes et auprès du quel on n'a pas insisté pour ne luy pas donner de soupçon.
Voicy maintenant Monsieur la grâce que je vous demande. C'est de vouloir bien faire arrêter demain Mazuel et sa femme qui ont vendu dans le passage de la rue de Richelieu au palais royal trois exemplaires à deux de mes gens qui déposeront en forme. Je les laisse à Paris en allant à Versailles. L'un s'appelle Gardier, l'autre Denizet.
Si vous voulez bien avoir la bonté d'envoyer faire une visite chez Merigot, Bienvenu, Morel, Jorri, Ballard fils, surtout chez ces derniers, pour voir les planches de leurs vignettes en bois, je crois que vous pourez par là parvenir à connaître le coupable. Il est à remarquer que le milieu de la vignette en bois a été adroitement changé, et que les ornements sont renversez.
J'oserois vous supplier de vouloir bien m'envoyer l'homme que vous chargerez de cette affaire. Je seray chez moy jusqu'à cinq heures, et je l'y attendrai. Je luy donneray quelques petites instructions sur cette affaire si vous le trouvez bon.
Tous les honnêtes gens monsieur vous auront obligation; et vous pouvez être persuadé que ma reconnaissance durera autant que ma vie.
J'ay l'honneur d'être avec l'attachement le plus respectueux,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire