Monseigneur,
Puisque Vôtre Grandeur pense qu'il n'y a rien contre le service du Roy dans la lettre que j'ay eu l'honeur de vous envoyer, je la remettray à son adresse ainsy que celles qui me parviendront de la même façon à la suitte; j'ay cru du devoir et même de l'obligation d'un honette homme et d'un fidèle sujet, d'en agir ainsy que je l'ay fait.
La crainte comme j'ay eu l'honneur de vous le marquer de servir de Ministère à trahir le Roy ou la Patrie m'a seule guidée. Je n'ay point entendu déservir Monsieur de Voltaire que je suis au contraire et seray toujours charmé de trouver les ocasions d'obliger, mais pour lequel non plus que pour aucun autre ny pour intérest que ce puisse être je ne ferois rien que je soupçonnasse contre le Roy mon maître au quel je suis serviteur avant tout. J'ay une grâce à demander à Vôtre Grandeur qui est de la suplier avec bien de l'instance que cette affaire ne vienne en aucune façon à la connoissance de Monsieur de Voltaire. En voicy les conséquences pour moy. Je suis un jeune hom͞e ardent et plein d'envie de travailler. Mon commerce est de faire des envoys de toutes sortes de marchandises au dedans et au dehors du Royaume. L'ambition de faire quelque chose m'a dictée de faire des offres de service à la Cour de Prusse, où un seigneur me doit même en Conséquence une somme assez considérable pour le peu d'avancement où en est ma fortune. J'espère avec l'aide du Seigneur voir incessamment rentrer mon dub, mais si par un malheur dont Dieu me préserve j'avais affaire à une mauvaise paye, Monsieur de Voltaire, qui a été très gracieusement accueilly du Roy de Prusse pourroit et m'a même promis si besoin étoit d'en écrire à sa Majesté Prussienne pour me faire avoir satisfaction; si donc Monsieur de Voltaire étoit instruit de ce que j'ay fait auprès de vous Monseigneur par un bon motif et pour satisfaire à ma conscience, il croiroit que je n'ay agy que pour luy faire tort, il m'en voudroit et chercheroit indubitablement à s'en vanger; il en pourroit peut être résulter de la perte de ma Créance de la part de mon débiteur que je luy ay nommé, là où au contraire au besoin il peut m'en procurer le payement. Vous voyez donc Monseigneur la conséquence qu'il y auroit pour moy que mon dit sieur de Voltaire eût la moindre connaissance de la démarche que j'ay faitte. Je vous suplie bien instam͞ent de la luy cacher, quant il auroit même l'honeur de vous avoir pour apuy ou pour amy comme il se peut être faire: j'espère que Votre Grandeur ne me refusera pas cette grâce, et je souhaiterois qu'elle me fît naître les ocasions de prouver la sincérité, le respect profond et le parfait dévoüement avec les quels j'ay l'honneur d'être,
Monseigneur,
De Vôtre Grandeur,
Le très humble et très obéissant serviteur
Martin
Md rue st Denis, vis à vis st Sauveur
Paris ce 25 janvier 1744
Si la lettre que m'a écrite Monseigneur de Podewils et que j'ay eu l'honneur de vous envoyer n'est point nécessaire à Vôtre Grandeur je la suplie de me la renvoyer, ne l'ayant point reçue aujourdhuy dans le paquet qui m'est venu de votre part.