24e janr 1744 à Paris
Monseigneur,
Je sors à l'instant de votre hôtel à Paris, où ayant apris que Vous étiez à Marly, cela m'occasionne la liberté que je prends de vous écrire le contenu de la présente dont j'allois faire part à Vôtre Grandeur; ayant eu occasion d'entrer en Correspondance de lettres avec Monseigneur le Comte de Podewils, Ministre extraordinaire du Roy de Prusse à la Haye, j'en reçus le 29 novembre passé une lettre que j'envoye cy incluse à Votre Grandeur, avec prière que me faisoit le dit seigneur de remettre en main propre une autre lettre incluse en la mienne à Monsieur de Voltaire, ce que j'ay fait sitost réception croyant obliger par mon exactitude et Monseigneur de Podewils et Monsieur de Voltaire.
Il y a aux environs de dix jours J'ay reçu une lettre à mon adresse, et l'ayant décachetée je n'ay trouvé que l'envelope seule pour moy sans le moindre mot d'écriture dedans. J'ay trouvé seulement dans la ditte enveloppe une lettre cachetée avec bien des soins avec cette inscription, à Monsieur de Voltaire, fauxbourg St Honoré à Paris. Je la portay encore moy même à Monsieur de Voltaire qui me fit accueil gratieusement, et après être passés ensemble seuls dans un apartement proche de celuy où il étoit, il prit la lettre que je luy présentay, la décacheta assez proche de moy et sur la vue du dedans d'icelle il s'écria, Parbleu! voilà bien de l'ouvrage qu'on me donne! Lisez, dit il, si vous le pouvez, en me la présentant en riant. Je m'aperçus que cette lettre étoit toute écritte en chiffre et qu'elle avait huit à dix pages; je fus un peu étonné, et après m'être retiré, je pensay qu'il pouvoit bien y avoir là dedans du mystère. La lettre de Monsieur de Podewils qu'on m'avoit prié de remettre en main propre vint avec l'écriture en chiffre de la seconde que je soupçonne de la même part, me confirmer encore dans cette idée, de façon que je me promis bien s'il en revenoit une troisième d'en faire un usage différent de celuy que j'avois fait des deux premières; hier Monseigneur celle que vous trouverez incluse m'est arrivée encore sans un mot d'écriture dedans pour moy. Quoy que j'aye un intérest accidentel et inutile à dire icy de ménager Monsieur de Voltaire et quoy que ces lettres puissent ne rien renfermer de conséquence, il se peut faire aussy qu'elles ayent une liaison intéressante pour ou contre les affaires de l'Etat. Comme je n'entends point tremper en façon quellequonque de près ny de loin en choses qui pourroient préjudicier au Roy ou à la Patrie, j'ay cru devoir en faire part au Ministère, et pour cela je me suis adressé à Votre Grandeur. Vous avez donc cy inclus la dernière lettre qui m'a été adressée pour mon dit sieur de Voltaire. Vous en ferez Monseigneur tel usage qu'il vous plaira, je vous demande seulement en grâce de ne me point compromettre avec lui. Et si vous souhaitez après en avoir pris lecture et l'avoir fait bien recacheter que je la remette à Monsieur de Voltaire, Votre Grandeur aura la bonté de me la renvoyer promtement à l'adresse jointe cy bas, et me marquer si elle souhaite que je cesse ou continue de recevoir ces sortes de lettres, pour les remettre ensuitte comme je fais de celle cy à Votre Grandeur. J'ay l'honneur d'attendre ses ordres et d'être avec le plus profond respect,
Monseigneur,
De Votre Grandeur,
Le très humble et très obéissant serviteur
Martin Chez M. Maillet, Procureur, rue Quinquempoix, à Paris
Paris ce 24e janvier 1744