à Paris ce 3 janvier 1744
J'ay attendu le temps des étrennes monsieur pour avoir l'honneur de vous répondre.
J'ay cru que les usages du jour de l'an justifieroient l'insolence que j'ay de vous donner mon carosse. Votre histoire de Puffendorf, dans la quelle vous avez corrigé une partie de ses fautes, est un présent plus considérable que celuy que j'ose vous faire. Si j'avois l'honneur de porter quelque couronne électorale, j'enverrois le carosse chez vous trainé par six chevaux grispommelez, avec un bau brevet de pension dans les bourses de la portière, mais je n'ay qu'une stérile couronne de laurier et si je pense en prince, mes étrennes ne sont que d'un homme de lettres. Ayez la bonté de les accepter monsieur, comme celles d'un amy qui ne peut vous témoigner combien il vous estime.
Voulez vous bien vous charger de présenter mes profonds respects à Mr l'ambassadeur, et à me l'ambassadrice d'Espagne, à Mr et me de Fogliani et à tous ceux qui daignent se souvenir de moy?
J'auray l'honneur de vous envoyer le tome qui vous manque de ce mauvais receuil qu'on a fait de mes œuvres. Il est vray que je donnay il y a quelques années à Monsieur l'envoyé d'Angleterre un exemplaire d'une autre édition non moins mauvaise que je trouvay à Amsterdam. Je ne manqueray pas d'obéir aux ordres de me la marquise de St Giles à la première occasion, mais il faut qu'elle sache que je préfère un quart d'heure de sa vue et de sa conversation à tous les vers, à toute la prose de ce monde. Adieu monsieur, je suis pour toutte ma vie avec la plus tendre estime,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire