1757-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je ne crois point vous avoir dit combien la catastrophe de M. Dargenson m'a pénétré.
Le bonhomme Lusignan a été quelques jours malade mon cher correspondant. Tout ce qui me revient de France mon cher et aimable correspondant me fait aimer davantage les Délices. Ce pauvre mr d'Argenson avait servi le roy quarante ans. Il va mourir dans l'exil; et sans l'aumône de foin que luy fait son neveu, il mourait dans la misère. De pareils événements doivent affermir dans l'amour de la philosofie et de la liberté.

J'ay été étonné de ne point trouver dans votre compte un article de ioo L. neufs que mr Cathala me donna le Ier ou 2 janvier dernier. Esce qu'il aurait oublié de les porter en compte? Cadix va horriblement mal mais nous avons à Lyon une bonne pacotille.

Mes raisons pour croire que l'Espagne joindrait enfin ses flottes à celles de France contre les anglais (supposé qu'elle ait des flottes) étaient fondées sur la convenance des temps, sur les affronts que les anglais ont faits à la dignité de la couronne d'Espagne, sur l'indignation où cette cour est toujours de voir le port de Gibraltar entre des mains étrangères, sur les nouvelles démarches de la cour de France, sur le crédit que l'ambassadeur d'Espagne à Paris, a eu de faire mettre à la Bastille je ne sçais quel écrivain qui avait reproché aux espagnols leur tiédeur dans une occasion si pressante. Je me suis trompé. Il faut que la cour de Madrid ait peu de vaissaux de guerre, peu de matelots, et peu d'argent.

Recevez mon cher monsieur les tendres compliments des deux Suisses

V.