1743-10-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Jacques Amelot de Chaillou.

Mgr,

Ce que vous mande M. de Valory touchant la conduitte du roy de Prusse à mon égard n'est que trop vray.
Vous savez de quel nom et de quel prétexte je m'étois servi auprès de luy pour colorer mon voiage. Il m'a écrit plusieurs lettres sur l'homme qui servoit de prétexte, et je luy en ay adressé quelques unes qui sont écrites avec la même liberté. Il y a dans ses billets et dans les miens quelques vers hardis qui ne peuvent faire aucun mal à un roy, et qui en peuvent faire à un particulier. Il a cru que si j'étois brouillé sans ressource avec l'homme qui est le sujet de ces plaisanteries je serais forcé alors d'accepter les offres que j'ay toujours refusez de vivre à la cour de Prusse. Ne pouvant me gagner autrement il croit m'acquérir en me perdant en France, mais je vous jure que j'aimerois mieux vivre dans un village suisse que de jouir à ce prix de la faveur dangereuse d'un roy capable de mettre de la trahison dans l'amitié même. Ce seroit en ce cas un trop grand malheur de luy plaire. Je ne veux point du palais d'Alcine où l'on est esclave parce qu'on a été aimé et je préfère surtout vos bontez vertueuses à une faveur si funeste. Daignez me conserver ces bontez, et ne parler de cette avanture curieuse qu'à mr de Maurepas. Je luy ay écrit de Bareith mais j'ay peur que le colonel Mentzel n'ait ma lettre.