1749-09-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Vous me donnez ma chère enfant, des consolations bien touchantes.
J'en ay grand besoin je vous l'avoue. Je passe icy les jours dans les larmes, en arrageant les papiers qui me parlent d'elle. Je ne regrette point une maîtresse, il s'en faut baucoup. Je regrette un amy et un grand homme, et mes regrets dureront assurément autant que ma vie. Vous en ferez le bonheur, de cette vie traversée par tant de chagrins. Je vous la consacre toutte entière. Je reste encor icy deux jours à achever de mettre tout en ordre. J'en vais passer deux autres chez une de ses amies, et je retourne à Paris à petites journées avec mes chevaux. Je ne peux faire autrement parce que ma chaise de poste que j'avois prêtée à son fils est brisée en mille pièces. J'éprouve tous les contretemps qu'on peut essuyer dans un pays sauvage loin de tout secours. Mais je ne les sens pas. C'est une piquure d'épingle à un homme blessé. Ce Cirey ma chère enfant est le palais d'Alcine. Tout cela s'évanouit. Ce n'est plus qu'un désert horrible. Mais vous me restez. Si vous m'écrivez encore adressez votre lettre, pour rester à st Dizier jusqu'à mon passage. Je verray donc à Paris vos cinq actes. Soyez bien convaincue que je m'y intéresse baucoup plus qu'à Catilina. Je ne pense ny ne peux penser à ces occupations qui faisoient mes délices, je ne peux plus soufrir mes ouvrages, mais j'aimeray les vôtres comme on aime ses petits enfans. Encor une fois mon cœur, ma vie est à vous; et vous en disposerez.

V.