1743-08-21, de Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas à Prosper Jolyot de Crébillon.

Comme je ne vois point venir de réponse à la proposition que j'ai fait faire à m. de Voltaire, de changer dans sa tragédie de Jules César les vers qui vous ont paru ne pas convenir sur notre théâtre, et que, d'un autre côté, les comédiens demandent toujours avec empressement qu'il leur soit permis de la jouer, — dans l'espérance de la représenter, ils ont, disent ils, fait beaucoup de dépenses et ont suspendu les soins qu'ils auraient donnés à mettre au théâtre des nouveautés qui auraient pu leur être avantageuses, — ces considérations me font désirer que vous veuillez bien prendre la peine de faire les changements que vous avez vous même proposés, et qui, suivant les notes que vous avez faites sur le manuscrit que je vous renvoie, ne sont pas considérables et ne touchent en rien au fond de l'ouvrage.
Vous pourriez même, si vous le jugez à propos, ajouter au rôle d'Antoine ou à celui de César quelques vers en faveur de la royauté, afin de balancer le sentiment contraire, qui, quoique naturel à des républicains passionnés pour leur prétendue liberté, paraît y régner cependant avec affectation. Il est raisonnable de penser que César, en désirant de satisfaire son ambition, croyait aussi faire le bonheur des Romains qu'il voulait avoir pour sujets. Je vois donc huit ou dix vers à changer, et à peu près la même quantité à y ajouter; au moyen de quoi vous pourrez remettre à m. de Marville la pièce, avec votre approbation, et ils seront en état d'en donner quelques représentations avant Fontainebleau.

Vous n'êtes pas dans le cas de vous faire une délicatesse de toucher à un ouvrage déjà livré au public par l'impression; la place qui vous donne le droit d'examiner les ouvrages, et de plus vos talents, vous mettent au dessus d'un pareil scrupule. Vous rendez service, dans cette occasion, au théâtre, qui imagine cette pièce comme une ressource, et au public, dont l'impatience augmente l'idée qui s'est faite de cet ouvrage, que les vers que vous y ajouterez ne peuvent assurément pas déparer.

On ne peut être plus sincèrement à vous que je le suis.