Je ne reçois point, Monsieur, comme un compliment les marques de satisfaction que vous me donés sur ma place de conseiller d'honeur.
J'y suis trop intéressé pour ne pas reconnoitre d'où elles partent. Je ne regarde pas non plus comme tel les éloges que vous me donnés. L'amitié qui vous prévient en ma faveur vous les inspire et je suis aussi flatté de les devoir à ce sentiment que de les mériter. On vous a mandé vray sur Cesar. Mr de Maurepas s'en est à la fin meslé. Que ne l'a t-il fait plutost? Il n'a trouvé que trois vers à corriger: prest à servir l'état mais à tuer mon père, le bien du monde entier me parle contre un roy, de quel œuil vois tu donc le sceptre, avec horreur? Il désire de plus que l'auteur ajoute un morceau en faveur de la roiauté. Il peut aisément le placer dans la bouche d'Antoine ou même dans celle de Cesar qui justifiera son dessein en prouvant combien un bon roy peut être avantageux aux Romains dans la scituation où ils se trouvent. Me Duchatelet a envoyé les changements qu'on demande et elle compte avoir la réponse mardi prochain et j'espère que comme elle sera satisfaisante sur tous les points rien ne s'opposera plus à la représentation de la pièce et que le retour de votre ami en sera une suitte. Le roy de Prusse luy a fait les offres les plus flatteuses et les plus essentielles, elles ne l'ont point ébranlé. Il compte l'aller trouver aux eaux de Spa et luy déclarer que la fortune la plus brillante quoique même offerte par luy ne sçauroit le faire renoncer à sa patrie et à ses amis. Ce voiage achevé il reviendra ou à Bruxelles ou icy et je suis persuadé qu'il prendra ce dernier parti si on joue Cesar. Je ne pense pas toutafait comme vous sur la comédie. Je conviens qu'il seroit fort à désirer qu'on nous rendit Moliere ou dumoins des pièces qui en approchassent. J'avoue qu'on ne rit plus guères mais je ne suis point pour rien exclure si ce n'est le bas et je sçais toujours bon gré aux autheurs qui m'attendrissent dans quelque genre que ce soit. Cet article demanderoit une plus longue dissertation qu'une lettre n'en comporte. Je la remets à cet hyver. Je me fais d'avance un très grand plaisir de pouvoir causer avec vous sur cette matière comme sur bien d'autres, et de vous renouveller les assurances de l'attachement respectueux et très tendre avec le quel je suis Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur
Dargental
Me Dargental est très flatté de votre souvenir et elle vous prie très fort de luy conserver.
A Paris ce 8 aoust 1743