1743-02-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Henri Feydeau, comte de Marville.

Monsieur,

Je me sens destiné à vous avoir obligations.
Je me flatte que vous avez eu la bonté de faire brûler le gros paquet que j'eus l'honneur de vous envoyer, dans lequel les feuilles scandaleuses de Didot sont confondues avec les autres exemplaires, et qu'il ne restera nulle trace de ces diffamations. Madame la marquise du Chastellet, toute occupée qu'elle est de la perte de m. de Breteuil, n'en sent pas moins vivement le prix de vos attentions et vous en remercie avec bien de la reconnaissance. J'ai une autre grâce à vous demander. J'ai reçu une lettre de Berlin par laquelle l'envoyé de Russie témoigne qu'il voudrait envoyer 'à la cour' trente exemplaires de quelqu'une des éditions de mes ouvrages. Je vous avoue Monsieur que je serais flatté de pouvoir les lui adresser, et d'en faire ma cour au prince impérial qui a voulu m'avoir auprès de lui.

C'est d'ailleurs un honneur pour la France que notre langue commence à être connue à Petersbourg, et l'honneur serait plus grand si on demandait d'autres ouvrages que les miens.

Mais tels qu'ils sont monsieur, je vous supplie instamment de me faciliter la petite galanterie que je veux faire. Je compte faire corriger à la main les exemplaires très informes, mais après tout assez complets, que Didot s'est avisé d'imprimer.

Enfin Monsieur si vous poussez la bonté jusqu'à me faire la grâce de me remettre deux paquets de vingt exemplaires chacun, vous m'obligerez bien sensiblement et je vous promets autant de secret que de reconnaissance; ne me refusez pas je vous en conjure. C'est une chose qui dépend absolument de votre bonne volonté. Cependant si vous croyez devoir en dire un mot à m. le comte de Maurepas, je suis persuadé qu'il se joindra à vous pour m'accorder la grâce que je vous demande avec la plus vive instance.

Ayez la bonté Monsieur je vous en supplie de vouloir bien me mander quel jour et à quelle heure, je pourrai vous faire ma cour, et vous assurer de mon profond respect et de mon tendre attachement.

V…..