1741-09-25, de — Seguy à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous consentez à réparer le mal que vous avez fait.
C'est ajouter à l'admiration dûe à vos talents l'admiration encore plus précieuse que fait naître l'excellence du caractère. La nécessité d'écrire des choses dont vous auriez pu vous offenser était pour moi un fardeau accablant, et quand je ne devrais pas toute mon estime aux sentiments de modération que vous voulez faire paraître, je devrais toute ma reconnaissance à la peine dont vous me délivrez. Voilà qui est donc fait, monsieur. J'oublierai absolument dans mon édition vos querelles avec m. Rousseau et les tristes effets qu'elles ont eus, et je n'y donnerai place qu'aux sentiments d'estime que vous vous êtes accordés l'un à l'autre dans des temps plus heureux. J'ai des témoignages de celle qu'il avait pour vous dans une lettre à m. d'Ussé que je rendrai publique, et des témoignages de celle que vous aviez pour lui dans plusieurs de vos lettres que j'ai trouvées dans ses papiers et dont j'enrichirai mon édition. La publication de ces lettres doit d'autant moins vous déplaire que les sentiments qu'elles renferment sont ceux que vous me promettez de prendre à l'égard de mon ami dans la lettre que vous me ferez l'honneur de m'écrire, car j'espère, monsieur, que dans une démarche aussi noble et aussi généreuse vous n'écouterez que les vertus qui vous l'inspirent et qu'il n'y aura dans votre lettre aucune de ces restrictions qui pourraient en détruire l'effet. Je sais, monsieur, tous les ménagements que vous vous devez à vous même. Il y aurait de l'injustice sans doute à vous demander une rétractation marquée. Je vous demande seulement, monsieur, des propos généraux d'estime, applicables aux ouvrages et à la personne de m. Rousseau, des propos qui, en faisant tomber le mal que vous avez dit de lui sur l'excès ordinaire aux passions et surtout à la colère, laissent croire qu'il ne l'a pas mérité et que le fond de votre caractère n'y a eu aucune part. Vous avez, monsieur, mille fois plus d'esprit qu'il ne faut pour tourner cela d'une manière également honorable à l'un et à l'autre.