à Bruxelles ce 22janvier 1741
Je ne devrois pas être surpris qu'un autre prince vous oubliast dans de pareilles circomstances, mais je le suis un peu que Le Roy de Prusse ne vous ait déjà fait sentir les effets de ses bontez.
Je vous ay déjà dit qu'il fait les petites affaires et les grandes, et qu'il ne laisse rien en arrière. Aparemment qu'il a fait ses arrangements pour le mois de juin, comme il m'avoit déjà fait l'honneur de me dire à mon premier voiage auprès de sa personne. Je ne crois pas que la pension soit telle que ces messieurs dont vous me parlez le disent. En tout cas voyez si vous croyez devoir attendre jusqu'au mois de juin, ou si vous voulez qu'on reparle au roy àprésent de cette affaire. J'imagine que le canal de m. Chambrier est le plus naturel, mais si vous croyez que le mien puisse être aussi utile je suis à vous, et j'écriray comme j'ay parlé.
La Noue est dans un grand embarras par raport à une comédie dont il s'étoit chargé, et qui est, me semble, contremandée; il faudra des dédommagemens en cas que le spectacle n'ait pas lieu. Je suis chargé de la part de la Noue de faire ses représentations. Ce n'est peutêtre pas un temps bien favorable pour demander deux choses à la fois. Cependant comme ces deux choses sont très justes, et que la vôtre est celle qui m'intéresse le plus, j'aurois déjà pris la liberté de solliciter le payement de votre pension, si je n'avois voulu vous consulter auparavant. J'ay de plus à vous dire qu'autant que j'ay connu le caractère de sa majesté prussienne, il n'aime pas qu'on luy demande. Il veut avoir le plaisir tout entier de faire des grâces. Mais encor une fois si vous trouvez que ce plaisir se fasse attendre trop longtemps, je suis prest d'écrire sur le champ.
Je suis très fâché contre cette édition qu'on prépare. Vous me ferez un sensible plaisir d'avertir ceux qui s'en mêlent que j'ay corrigé plus de 400 vers à la Henriade, que j'ay retravaillé toutes mes pièces, que je suis occupé à refondre l'histoire de Charles douze; et qu'ainsi s'ils se précipitent, et s'ils n'ont pas les changements nécessaires, cette édition ne poura que leur être très préjudiciable. Je ne veux point chercher à connaître ceux qui s'en chargent, mais je suis prest de faire remettre toutes les corrections à l'endroit qu'on voudra m'indiquer.
Je suis déjà assez fâché de l'édition de Ledet de 1738/9 et de celle de Paupie sous le nom de la compagnie des libraires 1740. Je suis las de mes fautes et de celles des libraires.
Je vous prie de m'envoyer une épître au prince royal que je composay il y a 4 ou 5 ans. Elle commence ainsi
Je n'en ay plus de copie.
Je suis à vous du meilleur de mon cœur.
V.