1740-12-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Adieu grand homme, adieu Coquette,
Esprit sublime, et séducteur,
Fait pour L'éclat, pour la grandeur,
Pour les muses, pour la retraite.
Adieu sincère protecteur,
Des débris de la Germanie,
De moy, très chétif raisoneur,
Et des vers, et de l'harmonie.
Adieu trente âmes dans un corps
Que les dieux comblèrent de grâces,
Vous qui réunissez les trésors
Qu'on voit divisez au Parnasse.
Adieu, vous dont l'auguste main,
Toujours au travail occupée,
Tient pour l'honneur du genre humain
La plume et la lire, et l'Epée;
Vous qui prenez tous les chemins
De la gloire la plus durable,
Si grand avec les souverains,
Avec nous autres si tractable!
Vous qui n'avez point de faiblesse
Pas même celle de blâmer
Ceux qu'on voit un peu trop aimer
Et leurs erreurs, et leur maîtresse.
Il faut partir; L'amitié pure
Poura seule m'en consoler
Le Roy, me fait un peu trembler,
Mais le grand homme me rassure.

Sire l'aimable Cesarion ne peut répondre à vos charmants vers par ce qu'il est malade; ny moy quoy que je me porte bien.

Je n'attends pour partir que Le bonheur d'avoir vu encor une fois celuy aux pieds de qui j'aurois voulu passer ma vie, et à qui je seray dévoué avec plus de respect encor pour sa personne, que pour son rang, et avec cette admiration que je ne peux m'empêcher d'avoir pour un roy qui fait de si jolies choses, lorsqu'il est prest d'en faire de si grandes.

V.