à la Haye au palais du roy de Prusse ce 17 octobre 1740

Monseigneur,

Il m'est venu trouver icy un jeune homme d'une figure assez aimable quoyque petite, portant ses cheveux, ayant l'air vif, une petite bouche, et paraissant âgé de vingt trois à vingt quatre ans. Il se nomme M^r de Champflour, et se dit garçon major et lieutenant dans le régiment de Luxembourg, actuellement en garnizon dans votre citadelle de Strasbourg.

Il se flatte de n'être pas oublié de vous Monseigneur, et il dit que M^r son père, qui a l'honneur d'être connu de vous, poura être touché de son état si vous voulez bien le protéger.

Je prends la liberté de joindre icy une lettre pour son père.

Il me paroit dans la plus grande misère, chargé d'une femme grosse, et accablé de sa misère et de celle de sa femme.

Il vient tous les jours icy tant d'aventuriers que je ne peux luy rien donner, ny le recommander à personne, sans en avoir auparavant votre agrément.

S'il étoit vray que son père voulût faire quelque chose en sa faveur, je luy ferois avancer icy de l'argent. Je ne le connois que par le malheur de son état, qui l'a forcé à se découvrir à moy.

Je saisis cette occasion pour vous renouveller les assurances du profond respect avec lequel je seray toutte ma vie,

Monseigneur,

votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire