1740-09-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Oui, le monarque prêtre est toujours en santé,
Loin de lui tout danger s'écarte;
L'Anglais demande en vain qu'il parte
Pour le vaste pays de l'immortalité;
Il rit, il dort, il dîne, il fête, il est fêté,
Sur son teint toujours frais est la sérénité;
Mais mon prince a la fièvre quarte!
O fièvre, injuste fièvre, abandonne un héros
Qui rend le monde heureux, et qui du moins doit l'être!
Va tourmenter notre vieux prêtre;
Va saisir, si tu veux, soixante cardinaux;
Prends le pape et sa cour, ses monsignors, ses moines,
Va flétrir l'embonpoint des indolents chanoines;
Laisse Fédéric en repos.

J'envoie à mon adorable maître l'Anti-Machiavel tel qu'on commence à présent à l'imprimer; peut-être cette copie sera-t-elle un peu difficile à lire, mais le temps pressait; il a fallu en faire pour Londres, pour Paris et pour la Hollande, relire toutes ces copies et les corriger. Si votre majesté veut faire transcrire celle-ci correctement, si elle a le temps de la revoir, si elle veut qu'on y change quelque chose, je ne suis ici que pour obéir à ses ordres. Cette affaire, sire, qui vous est personnelle me tient au cœur bien vivement. Continuez, homme charmant autant que grand prince, homme qui ressemblez bien peu aux autres hommes, et en rien aux autres rois.

L'héritier des césars tient fort souvent chapelle;
Des trésors du Pérou l'indolent possesseur
A perdu, dit on, la cervelle
Entre sa jeune femme et son vieux confesseur.
George a paru quitter les soins de sa grandeur
Pour une Yarmouth qu'il croit belle.
De Louis, je n'en dirai rien,
C'est mon maître, je le révère;
Il faut le louer, et me taire;
Mais plût à dieu, grand roi, que vous fussiez le mien!

M. de Fénélon vint avant hier chez moi pour me questionner sur votre personne; je lui répondis que vous aimez la France et ne la craignez point; que vous aimez la paix et que vous êtes plus capable que personne de faire la guerre; que vous travaillez à faire fleurir les arts à l'ombre des lois; que vous faites tout par vous même, et que vous écoutez un bon conseil. Il parla ensuite de l'évêque de Liége et sembla l'excuser un peu, mais l'évêque n'en a pas moins tort, et il en a deux mille démonstrations à Maseck.

Je suis, &c.