Rémusberg, 26 d'Octobre 1740
Mon cher Voltaire, l'événement le moins prévu du monde m'empêche pour cette fois d'ouvrir mon âme à la vôtre comme d'ordinaire, & de bavarder comme je le voudrais.
L'empereur est mort.
Cette mort dérange toutes mes idées pacifiques, & je crois qu'il s'agira au mois de juin plutôt de poudre à canon, de soldats, de tranchées, que d'actrices, de ballets & de théâtre; de façon que je me vois obligé de suspendre le marché que nous aurions fait. Mon affaire de Liége est toute terminée: mais celles d'à présent sont de bien plus grande conséquence pour l'Europe; c'est le moment du changement total de l'ancien système de politique; c'est ce rocher détaché qui roule sur la figure des quatre métaux que vit Nabuchodonosor, & qui les détruisit tous. Je vous suis mille fois obligé de l'impression de Machiavel achevée; je ne saurais y travailler à présent, je suis surchargé d'affaires. Je vais faire passer ma fièvre, car j'ai besoin de ma machine, & il en faut tirer à présent tout le parti possible.
Je vous envoie une ode en réponse à celle de Gresset. Adieu, cher ami, ne m'oubliez jamais, & soyez persuadé de la tendre estime avec laquelle je suis
Votre très fidèle ami.