à Bruxelles ce 29 aoust [1740], la troisième année depuisla terre aplatie
Comment diable vouliez vous mon grand philosophe que je vous écrivisse à Vezel?
Je vous en croiois party pour aller trouver Le roy des sages sur sa route. J'ay apris qu'on étoit si charmé de vous avoir dans ce bouge fortifié, que vous deviez vous y plaire, car qui donne du plaisir en a. Vous avez déjà vu l'ambassadeur rebondi du plus aimable monarque du monde. Mr de Camas est sans doute avec vous. Pour moy je crois que c'est après vous qu'il court. Mais vrayment, à l'heure que je vous parle, vous êtes auprès du roy. Le philosophe et le prince s'aperçoivent déjà qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Vous direz avec monsieur Algarotti, faciamus hic tria tabernacula. Pour moy je ne puis faire que duo tabernacula. Sans doute je serois avec vous si je n'étois pas à Bruxelles, mais mon cœur n'en est pas moins uni à vous, et n'en est pas moins le sujet du roy qui est fait pour régner sur tout être pensant et sentant. Je ne désespère pas que madame du Chastelet ne se trouve quelque part sur votre chemin, ce sera une avanture de conte de fées. Elle arrivera avec raison suffisante, entourée de monades. Elle ne vous aime pourtant pas moins, quoyqu'elle croye aujourduy le monde plein, et qu'elle ait abandonné si hautement le vide. Vous avez sur elle un ascendant que vous ne perdrez jamais. Enfin mon cher monsieur je souhaitte aussi vivement qu'elle de vous embrasser au plustôt. Je me recomande à votre amitié dans la cour digne de vous, où vous êtes.
V.