[c. 1 July 1740]
Quoi! vous êtes monarque, et vous m'aimez encore!
Quoi! le premier moment de cette heureuse aurore
Qui promet à la terre un jour si lumineux,
Marqué par vos bontés, met le comble à mes vœux!
O cœur toujours sensible! âme toujours égale!
Vos mains du trône à moi remplissent l'intervalle.
Un philosophe est roi, méprisant sa grandeur.
Vous m'écrivez en homme et parlez à mon cœur.
Vous savez qu'Apollon, ce dieu de la lumière,
N'a pas toujours du ciel éclairé la carrière;
Dans un champêtre asile il passa d'heureux jours;
Les arts qu'il y fit naître y firent ses amours;
Il chanta la vertu; sa divine harmonie
Polit des Phrygiens le sauvage génie.
Solide en ses discours, sublime en ses chansons,
Du grand art de parler il donna des leçons.
Ce fut le siècle d'or, car, malgré l'ignorance,
L'âge d'or en effet est le siècle où l'on pense.
Un pasteur étranger, attiré vers ces bords,
Du dieu de l'harmonie entendit les accords;
A ces sons enchanteurs il accorda sa lyre;
Le dieu qui l'approuva prit le soin de l'instruire,
Mais le dieu se cachait, et le simple étranger
Ne connut, n'admira, n'aima que le berger.
Je suis cet étranger, ce pasteur solitaire;
Mais quel est l'Apollon qui m'échauffe et m'éclaire?
C'est à vous de le dire, à vous qui l'admirez,
Peuples qu'il rend heureux, sujets qui l'adorez.
A l'Europe étonnée annoncez votre maître.
Les vertus, les talents, les plaisirs vont renaître.
Les sages de la terre appelésà sa voix,
Accourent pour l'entendre et recevoir ses lois.
Et toi dont la vertu brilla persécutée,
Toi qui prouvas un dieu, et qu'on nommait athée,
Martyr de la raison, que l'envie en fureur,
Chassa de son pays par les mains de l'erreur,
Reviens, il n'est plus temps qu'un philosophe craigne;
Socrate est sur le trône et la vérité règne.
Cet or qu'on entassait, ce pur sang des états
Qui leur donne la mort en ne circulant pas,
Répandu dans ses mains au gré de sa prudence,
Va ranimer leur vie et porter l'abondance.
La sanglante injustice expire sous ses pieds:
Déjà les rois voisins sont tous ses alliés;
Ses sujets sont ses fils, l'honnête homme est son frère;
Ses mains portent l'olive, et s'arment pour la guerre.
Il ne cherchera point ces énormes soldats,
Ce superbe appareil, inutile aux combats,
Fardeaux embarrassants, colosses de la guerre,
Enlevés à prix d'or aux deux bouts de la terre;
Il veut dans ses guerriers le zèle et la valeur,
Et, sans les mesurer, juge d'eux par le cœur.
Il est héros en tout puisqu'en tout il est juste.
Il sait qu'aux yeux du sage on a ce titre auguste.
Par des soins bienfaisants, plus que par des exploits,
Trajan, non loin du Gange, enchaîna trente rois.
A peine eut il un nom fameux par la victoire:
Connu par ses bienfaits, sa bonté fut sa gloire.
Jérusalem conquise et ses murs abattus
N'ont point solennisé le grand nom de Titus;
Il fut aimé: voilà sa grandeur véritable.
O vous qui l'imitez, vous son rival aimable,
Effacez le héros dont vous suivez les pas.
Titus perdit un jour, et vous n'en perdrez pas.