à Bruxelles, ce 25 avril 1740
Voulez vous savoir, mon charmant amy, mon confrère en Apollon, mon maître dans l'art de penser délicatement, l'effet que m'a fait votre dernière lettre?
Celuy qu'un bon instrument de musique fait sur un autre. Il en fait résonner toutes les cordes qui sont à l'unisson; vous m'avez remis sur le champ la lire à la main; j'ay serré mes compas, je suis revenu à l'autel de Melpomene et au temple des grâces. Vous me direz si j'ay été exaucé de vos trois déesses. Tout ce que vous soupçonniez que j'ébauchois est prest à vous être envoyé. Donnez moy donc l'adresse sûre que vous m'avez promise. J'ay plus de choses à vous faire tenir que vous ne pensiez. Je peux avoir mal employé mon temps, mais je ne suis pas resté oisif. Je sçai qu'il y a longtemps que je ne vous ay écrit; mais aussi vous aurez deux tragédies pour excuse, et si vous n'êtes pas content, j'ay encor autre chose à vous montrer. Je veux vous rendre un peu compte de mes études. Il me semble que c'est un devoir que l'amitié m'impose. Outre toutes les bagatelles poétiques que vous recevrez de moy, vous en aurez aussi de philosophiques. Je crois avoir enfin mis les Elémens de Neuton au point que l'homme le moins exercé dans ces matières, et le plus ennemi des sciences de calcul poura Les lire avec quelque plaisir et avec fruit. J'ay mis au devant de L'ouvrage un exposé de la métaphisique de Neuton et de celle de Leibnits, dont tout homme de bon sens est juge né. On va l'imprimer en Hollande au commencement de may, mais il va paraître à Paris un ouvrage plus intéressant et plus singulier en fait de phisique, c'est une phisique que madame du Chastelet avoit composée pour son usage et que quelques membres de l'académie des sciences se sont chargez de rendre publique pour l'honneur de son sexe et pour celuy de la France.
Vous avez lu sans doute la comédie des dehors trompeurs! Quel dommage! il y a des scènes charmantes et des morceaux frappez de main de maître. Pourquoy cela n'est il pas plus étoffé, et pourquoy les derniers actes sont ils si languissants?
Il en est à peu près de même de la pièce de Gresset, et qui pis est c'est une déclamation vide d'intérest.
Mon Dieu, pourquoy me parlez vous de la tragédie soit disante de Coligni? Il semble que vous ayez soupçonné qu'elle est de moy. Le Du Sauzet, libraire de Hollande, et par conséquent doublement fripon, a eu l'insolence absurde de la débiter sous mon nom. Mais Dieu mercy le piège est grossier; et fût il plus fin vous n'y serez pas pris. Cette pitoyable rapsodie est d'un bon enfant nommé Darnaud, qui s'est avisé de vouloir mettre le second chant de la Henriade en tragédie. Heureusement pour luy sa personne et sa pièce sont assez inconnues.
Adieu mon cher amy, mon cœur et mon esprit sont à vous pour jamais.
V.
Made Du Ch. vous fait mille compliments.