1740-02-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine de Feriol, comte de Pont-de-Veyle.

Si servir vite est servir bien, vous serez content Monsieur.
Je renvoye le 5ème acte de Zulime le même jour que je l'ay reçu, et je croi que melle Quinaut sera satisfaite de ma conduitte si elle ne l'est pas de mes talents. Ce cinquième acte que j'ay revu avec des yeux froids, m'a paru assez bien et je commence à espérer baucoup du succez de cet ouvrage aux représentations parceque c'est une pièce dans laquelle Les acteurs peuvent déployer tous les mouvements des passions, et une tragédie doit être des passions parlantes. Je ne crois pas qu'à la lecture elle fit le même effet, parceque La pièce a trop l'air d'un magazin dans le quel on a brodé les vieux habits de Roxane, d'Atalide, de Chimene, de Calliroé.

J'en reviens à Mahomet. Il est tout neuf.

tentanda via est qua me quoque possim
tollere humo

mais Zulime sera la pièce des femmes, et Mahomet la pièce des hommes. Je recommande L'une et l'autre à vos bontez. Permettez que je vous demande un petit plaisir. Vous ne pouvez passer dans la rue st Honoré sans vous trouver auprès d'Hebert, je vous suplie de passer chez luy et de voir une écritoire de Martin que nous faisons faire pour la présenter au prince Royal de Prusse. Voyez si elle vous plait. Le présent est assez convenable à un prince comme luy, c'est Soliman qui envoye un sabre à Scanderberg. Mais ce maudit Hebert me fait attendre des siècles. Le roy de Prusse se meurt, et s'il est mort avant que ma petite écritoire arrive, ma galanterie sera perdue. Il n'y a pas trop de bonne grâce à donner à un roy qui peut rendre baucoup. Cet air intéressé ôteroit tout le mérite de L'écritoire. Je vous demande en grâce de presser cet Hebert, et de le relancer par un de vos gens.

Soufrez que je vous prie de présenter mes profonds respects à madame de Luxembourg. Madame de Tencin seroit elle personne à en recevoir autant?

V.