1740-02-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste François Durey de Mesnières.

Cheron a enfin vu Govers, comme François premier vit Charles quint à Madrid.
Mais nos deux modernes héros ne sont point convenus de la rançon. Voylàmonsieur touttes les nouvelles que je peux avoir l'honneur de vous dire. Madame du Chastelet s'est mis en tête d'avoir une certaine lettre qu'on devoit en effet me rendre, mais je crois que ce n'est pas la peine de se fatiguer pour si peu de chose, et que le mauvais procédé de me retenir cette lettre après me l'avoir fait payer, ne peut jamais me nuire.

Il y a une autre grâce que je voudrois vous demander ce seroit de me faire avoir une paire de ces orphelins qu'on a si glorieusement saisis chez Praut; les animaux bleu et or qui ont fait cette conquête se font payer des frais de la guerre en vendant au public les dépouilles des ennemis. Ne pouriez vous pas monsieur en obtenir une couple? Encor faut il que j'en aye. Je vous en aurois bien de l'obligation. On vend avec baucoup de succez à ce que j'entends dire, gogo, fretillon, les écosseuses, le prince titi, la comédie du bordel, les andouilles. Les étrangers ne cessent d'admirer cette protection qu'on donne en France aux baux arts. Adieu monsieur je souhaite que vous soyez dans une de ces places où l'on peut contribuer à la gloire de la patrie ou au moins à la tirer de l'avilissement. Personne ne vous est dévoué avec plus de reconnaissance.

V.

J'ay rouvert ma lettre monsieur à la réception de la vôtre. Je me croirois heureux si je pouvois engager Govers à quelque chose qui pût vous plaire. Il y faudra du temps. Je suis je croi le seul Français icy dont il ne se défie pas. Il m'aime par ce qu'il a été dans la même chambre que moy dans le palais bâti par Charles cinq. J'espère venir à bout de luy dans quelques mois.