A Cirey ce 17 mars 1739
Je suis bien fâchée, monsieur, que vous preniez un chemin si différent de Cirey, et que vous alliez voyager dans un pays si différent de l'Angleterre, où j'aimerais assurément mieux aller qu'en Flandre.
Je vous félicite de ce beau voyage. Les Anglais me doivent quelque bienveillance par reconnaissance de l'estime infinie que j'ai pour eux, et de l'envie que j'ai de voir un pays, où tout le monde est philosophe. Mr de Voltaire a écrit sur cela une lettreà mylord Hervey qu'il a fait passer par Tiriot, et dont il n'a point eu de réponse; et je vous serai bien obligée de demander à mylord Hervey pourquoi il traite Cirey aussi mal. Malgré la rancune que je pourrois avoir de ce procédé, je vous prierai de vouloir bien lui donner de ma part un exemplaire de mon mémoire sur le feu, que je compte envoyer chez vous, si vous ne partez pas avant qu'il paraisse.
Je crois qu'on vous a très mal conseillé de toutes façons, en vous faisant prendre l'abbé des Fontaines pour traducteur. Son mérite, s'il en a, n'est point du tout d'avoir un stile fait pour rendre les grâces de votre original, et vous auriez infiniment mieux fait de venir faire vous même cette besogne à Cirey; mais je suis ravie que les liaisons avec un homme si méprisé, ne soyent point telles qu'on nous l'avait mandé. On vous aime tant à Cirey, et l'on y a tant de droits sur votre amitié, qu'on n'a pas de peine à croire tout ce qui peut l'entretenir. Ainsi soyez persuadé, monsieur, qu'il n'y a aucun endroit de l'Europe où l'on ait plus d'estime pour vous qu'à Cirey, et où l'on desire plus votre amitié, et votre présence. C'est avec ces sentiments que je serai toute ma vie.