1733-09-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à John Hervey, 2nd Baron Hervey.

Jamais je n'ay été plus flatté mylord ny plus étonné que de votre charmante lettre.
Je savois bien qu'un homme d'esprit comme vous pense toujours bien en toutte langue, mais je ne savois pas que vous possédassiez toutes les délicatesses de la nôtre. Je vous remercie des livres que vous avez eü la bonté de m'envoier, mais je vous remercie d'avantage de mr Fox. Je pense comme vous sur ce gentilhomme, et sur les brochures que vous m'avez fait lire.

La lettre sur le minute philosopher m'a paru comme à vous légère, et pleine d'esprit, mais la conversation de mr Fox m'a plu baucoup davantage. Il a bien des droits à mon estime. Il pense en vray Anglais, il a l'esprit doux et sage, et l v ous aime. Voylà d'excellentes qualitez. Je luy ay parlé de vous longtemps avec effusion de cœur de tout ce que j'ay vu en Angleterre, Mylord c'est vous dont j'ay gardé le souvenir le plus cher. Mais que direz vous de la liberté que j'ay prise de mettre en vers français les vers charmants dont vous m'aviez dit une partie sur votre voiage d'Italie? et que direz vous de la liberté qu'on a prise de les imprimer? Mr Fox m'a aporté mes lettres anglaises où j'ay vu cette traduction. Je ne sai si elle aura trouvé grâce devant vis yeux mais je sens bien qu'en vous traduisant je pensais entièrement comme vous. Je ne traduiray jamais des ouvrages faits in favour of passive obedience. Mais il ne me coûte rien de mettre en ma langue les pensées d'un esprit libre. Je suis né malheureu-sement français et avec le génie anglois.

J'ay bien peur que cette contradiction de mes sentiments avec ma naissance ne me joue icy quelque mauvais tour. On pouroit bien même me persécuter au sujet de ces lettres anglaises, et m'envoier une seconde fois me réfugier dans le pays de la liberté. J'y serois déjà, et je fuirois dans le sein de vos loix les rigueurs du despotisme, si ma misérable santé ne m'attachoit pas à Paris, où je vis entre des médecins, et des lettres de cachet.

Aureste vous vous apercevrez aisémen t de quelques erreurs que l'inadvertence de l'éditeur a glissées dans ces lettres, vous corrigerez aisément les fautes de l'éditeur et les miennes. Seroi-je assez heureux my dear lord pour que vous daignassiez m'en écrire votre sentiment? Amusez vous pendant quelques moments à ces bagatelles avant que vous débattiez dans votre parlement si vous donnerez ou non de l'argent à votre roy pour nous faire la guerre mal à propos. Les Anglais pouront devenir les ennemis du ministère français et espagnol, mais ils seront toujours mes amis, et je les regarderay comme mes compatriotes qui se battent contre mes maitres.

On est encor très incertain dans ce pays cy du party qu'on prendra contre l'empereur. Tout est prest pour la guerre, et c'est ce qui me fait croire qu'on aura la paix. Mais quelque sottise que fassent les rois de l'Europe, daignez milord me conserver votre prétieuse amitié.

Je suis bien piqué que vous ne m'ayez rien dit de miladi Hervey. Je la prie de soufrir que je luy présente mes profonds respects. Adieu charming lord, remember a Frenchman who is devoted to yr lordship for ever with the utmost respect, and loves you passionately.

Voltaire