Vous me ferez plaisir de me mander si on a découvert enfin l'auteur de l'enfant prodigue que vous me mandez qu'on m'atribue.
Vous me parlez de l'abbé des Fontaines comme d'un homme que vous connaissez. Prenez garde aux gens avec qui vous vous liez. Cet abbé est un homme qui me doit l'honeur et la vie. Je l'ay tiré de Bissetre, en 1723, et j'eus le crédit par mes amis de faire cesser le procez criminel qu'on avoit commencé contre luy; je luy procure un azile, chez mr et me de Berniere, il y passa trois mois, et pour reconnaissance il fit un libelle contre moy qu'il montra à mr Tiriot et que mr Tiriot jetta au feu. Il me demanda pardon depuis de cette horrible ingratitude. J'eus la bonté ou plutôt la faiblesse de luy pardonner. Il fut après cela mon traducteur. Il mit en français plusieurs ouvrages que j'avois écrit en anglais, entre autres un essay sur le poème épique. Je corrigeay toutes les fautes de sa traduction, je la fis imprimer avec éloge en Hollande, en attendant que je donnasse mon essay français. Enfin La rage de médire l'a emporté dans son cœur sur ce qu'il me devoit sans que je l'aye jamais offensé. Il y a un an qu'il me déchire à ce qu'on dit dans ses ouvrages que je ne lis point et qu'il envoye tous les mois en Hollande des libelles diffamatoire contre moy. Voylà le prix de mes services. C'est ainsi qu'il en a usé avec tous ceux à qui il a obligation. Il a raison de louer Roussau qui luy ressemble.
Ne fréquentez jamais de pareils monstres qui ne peuvent que vous nuire, ou vous corrompre. Travaillez, aprenez à écrire et comptez sur mon amitié.
ce 7 [November 1736] à Cirey