à Cirey ce 15 mars 1739

J'ay cru Monsieur que ce n'étoit rien faire en faueur du s^r Linant que de ne lui pas rendre vos bontés.
Ie v͞s remercie Egalement de les lui auoir ôtées, et de les lui auoir renduës. N͞s attendons vne copie de sa pièce qu'il enuoye à m^r de V. Ie lui désire vn succés aussi brillant que celui de Mahomet dont tout le monde me mande du bien.

Votre ami est accablé d'occupations et de tracasseries. I'espère que m^r du Chastellet qui est allé à Paris finira les dernières, vne fois p͞r toutes. Il faudroit qu'il fût défendu à des insectes telles que l'abé des F. et tant d'autres, de troubler le repos d'un home dont le loisir est si honorable à son payis. Ie v͞s auouë que ie ne suis point de votre auis sur la dédicace du siècle de Louis 14. Ie hais que l'on vende ainsi son encens et sa plume, et quand le Coeur et la vérité dicteroient les homages que l'on rend à vn ministre ou à vn prince, on ne peut manquer d'être soupçoné de flaterie. Vn des mérites de votre ami est de ne s'être jamais abaissé à de tels homages et ce n'est pas par mon conseil qu'il perdra ce mérite, qui est aussi vnique parmi les gens de lettres que L'universalité de ses talens l'est parmi les homes.

Mes ocupations ne sont pas dignes de v͞s être Comuniquées. Dieu m'a refusé toute espèce de génie, et i'employe mon tems à démêler les vérités que les autres ont découuertes. J'ay cependant eü l'audace de trauailler p͞r les prix de l'académie des sciences, et d'imiter en Cela votre ami. Cela seroit trop long à v͞s comter, mais enfin l'académie a eü la bonté de faire imprimer mon ouurage, et ie crois qu'il doit paroitre àprésent. J'ay donné ordre à Paris qu'on v͞s en enuoyât vn Exemplaire, que ie v͞s prierai de comuniquer à m^r de Formont s'il est encor à Rouën. Ie crains bien que la lecture de ce mémoire ne v͞s ennuie, il est beaucoup trop long, mais ie m'y pris trop tard, et à la lettre ie n'eus pas le tems de le faire plus court.

M^r du Chastellet a des terres en Normandie prés de la ville d'Eu dont il voudroit se défaire p͞r faire vne aquisition qui lui Conuient dauantage. Ie me suis persuadée que v͞s voudriés bien permettre que ie v͞s en adressase vn Etat abrégé p͞r les faire afficher à Rouën et n͞s chercher marchand. V͞s voyés Monsieur combien ie comte sur vne amitié que mes sentimens p͞r v͞s, méritent. Ie crois que v͞s ne doutés pas que votre ami ne v͞s dise les choses les plus tendres.