1739-02-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon cher amy eh quoy! malgré votre sagesse, vous tâtez aussi de L'amertume de cette vie?
Ne pourai-je verser une goutte de miel dans ce calice? Nous sommes bien éloignez mais L'amitié raproche tout. Mr de Leseau me doit environ mil écus, acomodez vous en sans façon. Je vous en feray le transport, envoyez moy le modèle. Si j'avois plus je vous ofrirois plus.

Merope est trop heureuse. Puisse t'elle vous amuser! J'aime mieux qu'un amy en ait les prémices que de les donner au parterre. Je suis acablé de maladies, de calomnies, de chagrins, mais enfin je vis dans le sein de l'amitié, loin des hommes cruels, envieux et trompeurs. Cideville, mon cher Cideville m'aime toujours, je suis consolé. Pardon de vous dire si peu de choses; mon cœur est plein, et je voudrois le répandre avec vous, je voudrois passer un jour entier à vous écrire, mais les affaires, les travaux m'emportent, je n'ay pas un moment, et l'homme du monde qui vous aime le mieux est celuy qui vous écrit le moins. L'adorable Emilie vous fait mille compliments.

V.