1739-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mr du Chastelet étant absent et madame la marquise ayant ordre d'ouvrir ses lettres, elle a heureusement lu la vôtre, et elle vous donne la marque d'amitié de vous la renvoyer.
Elle n'est ny française, ny decente, ny intelligible, et mr du Chastelet, qui est très vif, en eût été fort piqué. Je vous la renvoye donc, mon cher Tiriot; corrigez la, comme je corrige mes épîtres. Il faut tout simplement luy dire que vous aviez prévenu tous ses désirs, que si vous avez été si longtemps sans écrire, c'est que vous avez été malade; qu'il y a longtemps que vous savez qu'en effet j'ay remboursé toutes les souscriptions que les souscripteurs négligens n'avoient pas envoyées en Angleterre, et que vous ne croyez pas qu'il en reste; mais que s'il en restoit, vous vous en chargeriez avec plaisir pour votre amy.

Qu' à l'égard de l'abbé Desf. vous pensez comme tout le public, qui le déteste et le méprise, et que vous n'avez pas cessé un moment d'être mon amy. Au reste songez bien qu'on ne vous demande point de lettre ostensible. Voylà comme on apaise tout, sans se compromettre, et non pas, en entrant dans un détail de lettres à écrire de mr de la Popliniere.

Ne parlez point de mr de la Popeliniere, c'est à luy à rendre ce qu'il doit à mr du Chastelet, et il n'y manquera pas; il connoît trop les devoirs du monde.

Pour la centième fois, si vous aviez écrit tout d'un coup comme à l'ordinaire, et si vous n'aviez pas voulu mettre dans l'amitié une politique fort étrangère, il n'y auroit pas eu le moindre malentendu. Oublions donc toute cette mésintelligence.

Aureste je poursuivray Desf. à toutte rigueur. Qui ne sait point confondre ses ennemis, ne sait point aimer ses amis.

V.