1739-02-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous envoye donc mon cher ange gardien qui liberas nos a malo, La correction pour L'épître de l'envie.
Je vous sacrifie le plus plaisant de tous mes vers,

Tout fuit jusqu' aux enfans, et l'on sait trop pourquoy.

Je ne suis pas né fort plaisant, et ce vers me faisoit rire quelquefois, mais qu'il périsse puisque vous ne croyez pas que je doive rendre comme dit Rabelais, fèves pour pois et pain blanc pour fouace.

L'endroit du charlatan est un peu lourd chez notre cher D'Olivet et son petit Scazon est horridus; figurez vous ce que c'est qu'une indigestion de Cerbère, et c'est du résultat de cette indigestion qu'on a formé Le cœur de Desfontaines.

On me mande que ce monstre est partout en exécration, et cependant quoy qu'en dise D'Olivet, le traître a des amis. Mr de Lesouet, m'écrit qu'il veut faire un acomodement entre Desfontaines et moy. Hélas qu'ai-je fait à mr de Lezouet pour me proposer quelque chose de si infâme? Il a lu je le sçai, sa Voltairomanie chez mr de Locmaria, en présence de Mrs de la Chevaleraye, Argaloti, abbé Prévost. J'ay écrit à Mr de Locmaria, et je n'ay point eu de réponse. Il y a encor un avocat du conseil, qui est son confident, mais j'ay oublié son nom.

Ce que je n'oublie pas c'est vos bontez. Cet ardent chevalier de Mouhi a vite imprimé mon mémoires; quitte à le suprimer il faudra que j'en paye les frais. Je me console si on me fait quelque réparation. Mais m'en fera t'on si je ne me rends pas partie? et en cas qu'on ne m'en fasse point, ne pui-je alors faire paraître mon mémoire justificatif, un peu corrigé?

Je voulois le faire imprimer avec les épitres, le commencement de l'histoire du siècle de Louis 14 etc. Il y a près d'un mois que Tiriot ou l'abbé D'Olivet avoient dû vous remettre ce commencement d'histoire mais Tiriot ne se presse pas de remplir ses devoirs. Je suis je vous l'avoue, très affligé de sa conduitte. Il devoit assurément prendre L'occasion du libelle de Desf. pour réparer par Les démonstrations d'amitié les plus courageuses, tous les tours qu'il m'a jouez et que je luy ay pardonnez avec une bonté que vous pouvez appeler faiblesse. Non seulement il avoit mangé tout l'argent des souscriptions qu'il avoit en dépost, non seulement j'avois payé du mien et remboursé tous les souscripteurs petit à petit, mais il me laissoit tranquilement accuser d'infidélité sur cet article, et il jouissoit du fruit de sa lâcheté et de mon silence. Le comble à cette infâme conduitte est d'avoir ménagé Desfontaines dont il avoit été outragé, et qu'il craignoit, afin de me laisser accabler, moy qu'il ne craignoit pas. Ce que j'ay éprouvé des hommes, me met au désespoir et j'en ay pleuré vingt fois même en présence de celle qui doit arrêter toutes mes larmes. Mais enfin mon respectable amy, vous qui me racomodez avec la nature humaine, je cède au conseil sage que vous me donnez sur Tiriot. Il faut ne me plaindre qu'à vous, luy retirer insensiblement ma confiance, et ne jamais rompre avec éclat.

Mais mon cher amy qu'y a t'il donc encor dans ce morceau de Rome, et dans le commencement de cet essay, qui ne soit plus mesuré mille fois que fra Paolo, que le traitté du droit eclésiastique, que Mezeray, que tant d'autres écrits? S'il y a encor quelques amputations à faire, vous n'avez qu'à dire, ce morceau là a déjà été bien tailladé et le sera encore quand vous voudrez.

Je ne perds pas Zulime de vue; et mon respectable et judicieux conseil aura bientôt les écrits de son client. Que dit madame Dargental de Zulime?

Aureste vous croyez bien que Tiriot n'en dit rien, car il n'en fait rien. Voulez vous me faire écrire par Berger, ce que je dois faire sur le procez?

Emilie vous regarde toujours comme notre sauveur.