1739-01-22, de Françoise Paule Huguet de Graffigny à François Antoine Devaux.

Je n'ai point reçu hier de vos nouvelles, mon cher Panpan, et cela me met toujours de bien mauvaise humeur: je ne sais presque plus compter les lettres qu'on nous retient.
Je vous prie de ne plus m'écrire que quatre mots; pourvu que je sache que mes amis se portent bien, je suis contente. Peut-être que les inquisiteurs des postes se lasseront à la fin de nous persécuter. Quant à moi, je ne vous écris que pour que vous sachiez que je ne suis pas morte; mes yeux sont pis que jamais, et, à la lettre, je vous écris sans voir: je ne sors plus de ma chambre, parce que je ne puis souffrir les lumières; je soupe en aveugle. Cette fluxion me vient le plus mal à propos du monde. J'attends notre ami avec tant d'impatience, que je meurs de peur que quelque chose d'imprévu ne l'empêche d'arriver. La longue habitude que j'ai d'éprouver des contradictions les moins attendues me donne autant de crainte que d'espérance. Bonsoir, hélas! vous savez tous, tendres amis, si je vous aime! Mais ne puis je vous aimer sans crime, et ne lassera-t-on pas de me désespérer? Si je suis privée plus longtemps de vos lettres que vais je devenir? Ah! mon dieu! secourez moi.