Cirey ce lundi, 5 janvier [1739]
Je viens de recevoir votre lettre du jeudi, mais celle du lundi avant est restée en chemin; je ne sais si c'est dans la boue ou dans la poussière: quelque part qu'elle soit, je n'en suis pas moins affligée.
Si vous vous souveniez de ce que vous me mandiez, vous me feriez plaisir de me le dire. Vous m'annonciez apparemment l'arrivée de m. de Mirepoix, car vous me dites, dans celle-ci, qu'il n'est pas encore marié. Je ne saurais assez vous dire, mon cher ami, combien je suis sensible à la paix dont vous jouissez; vous êtes bien raisonnable, et je vous en aimerais d'avantage, s'il y avait quelque chose à ajouter à mon amitié; mais vous verriez bien qu'elle est au comble si je pouvais vous ouvrir mon cœur. Je réponds à votre grande lettre par articles, mais passant celui où vous me faites des exhortations pour venir vous voir; nous verrons; d'autres temps, d'autres soins.
Je suis bien aise que vous vous amusiez de projets ensemble, mes pauvres amis; cependant je vous conseille à vous particulièrement d'arrêter les vôtres, qui, selon moi, ne peuvent jamais avoir d'exécution. Les raisons seraient trop longues à vous détailler; aussi, je me contente de vous donner mon avis tout sec. Ce n'est pas manque de bonne volonté, au moins, si je ne vous rends pas raison de ma façon de penser, mais c'est que par surcroît de mauvaise santé, il m'est venu une petite fluxion sur un œil, qui ne me permet pas de longues applications. Ne soyez pas en peine de moi pour cela. La dame que vous aimez tant a la bonté de venir dans ma chambre, et je fais des nœuds; ainsi je suis encore plus occupée que si je lisais moi même. Je sens, comme je le dois, toute l'obligation que j'ai au docteur de vouloir bien parler quelquefois de moi. Quand il n'aura rien de mieux à faire, et qu'il voudra bien m'écrire, il me fera grand plaisir. Quoi qu'il en soit, je penserai toujours de même pour lui.
Vous ne vous douteriez jamais de ce qu'il y a dans la lettre que vous m'avez envoyée, je veux vous faire mourir de curiosité, en vous disant que c'est la plus singulière chose du monde; que c'est une nouvelle connaissance du monde que j'acquiers, et dont je ne crois pas avoir besoin; car si je ne le connaissais pas, je serais bien brute. Je vois cependant qu'on apprend tous les jours, et même des choses les moins attendues, les moins croyables et les plus singulièrement arrangées. Oh! que la philosophie serait divine, si elle était bonne à quelque chose. Bref, cette lettre m'a fort amusée.
Pouvez vous douter, cher Panpan, que la santé de m. votre père ne m'intéresse bien sensiblement? Je veux que vous m'en disiez un mot dans toutes vos lettres, et que vous lui en disiez mille de ma part les plus tendres et les plus intéressés à tout ce qui le touche; et je veux que vous baisiez bien la bonne maman pour moi.
Je suis bien aise que mes fétus vous aient amusé un moment; je voudrais savoir ce qu'en pense le docteur. Je vous demande pardon à vous autres, mais je me défie de votre prévention pour moi; au lieu que son jugement ne se laisse pas séduire par son cœur…. Je n'en ai point de copie, et vous feriez fort bien de vous moquer de ce badinage qui n'est bon à rien. Je voudrais bien voir celui qu'il vous a promis. Je suis bien fâchée que le petit saint ait parlé au médecin: on ne saurait donc se taire? Vous ferez bien de m'envoyer cette satire dont vous me parlez, et de me dire qui vous l'a donnée.
Il me semble que mademoiselle Dubois reprend un peu d'attachement pour moi, nous verrons; c'est un atome que cette petite affaire: si je ne la trouvais là, je ne vous en parlerais pas, je l'avais oubliée. Je ne me souviens que de mes amis; c'est que mon cœur ne peut les oublier.
Le Roux me fera plaisir de m'écrire, je l'aime toujours beaucoup. Il n'y a que mes vapeurs que je déteste.
Vous avez raison, Panpan! votre paresse est bien jolie de vous permettre de m'écrire: ah! qu'elle soit toujours aussi bonne, qu'elle me mande bien ce que vous faites, mes chers amis, c'est l'unique désir de mon cœur. Hélas! votre amitié fait le charme de ma vie; il y a longtemps que je vous le dis, et ne puis encore le répéter assez, parce que je ne sais rien de si vrai ni de si agréable. Mais, mon cher Panpan! si la paresse devenait plus grande, quelqu'un ne pourrait il vous prêter quelquefois sa main? Elle est bonne, elle est forte, et ne se fatiguerait pas sitôt que la vôtre.
Je n'écrirai pas de sitôt à m. Cormiel, je crains trop de parler d'affaires, cela me renouvelle tous les malheurs de ma vie, et je crois qu'il faut éviter du moins les crises violentes. Vous en savez assez pour le conduire dans le courant: il m'est impossible à présent d'entamer cette vilaine matière. Faites lui simplement un compliment de bonne année de ma part.
Adieu, mon cher ami; je ne sais comment j'ai pu tirer tout cela de mon œil, aussi me fait il bien mal. Bonsoir. Je vous embrasse tous du plus tendre de mon cœur.
De Lapimpie… . . Je viens de couper un petit bout de ma lettre, parce que je ne veux pas que vous y voyiez ce que j'avais mis. Cependant je me ravise, mais ce n'est que pour vous dire que je ne crois pas que m. de Lapimpie vous soit jamais utile, et ce sera votre faute. Souvenez vous de ce que vous dîtes un jour: je prévois ce qui en arrivera. Il n'est pas encore temps de lui en parler, mais ne vous en prenez qu'à vous; vous savez tout ce que je vous avais dit. J'ai écrit dix fois à François pour moi et pour les affaires de m. du Châtelet, sans en avoir de réponse: j'en suis outrée et honteuse. Faites, je vous prie, que le Roux lui écrive de me faire une réponse telle qu'elle puisse être. N'y en avait il pas une à la dernière lettre que j'ai écrite à m. Charmiou, dans celle qui est perdue? j'en suis en peine! Il n'y a que l'amitié de mes amis qui me console.