1739-01-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.
Il a mille vertus, et n'a point eu de vices,
Il étoit sous Louis de touttes ses délices,
Et La Septimanie a vu ce même Othon
Gouverner en Cesar et juger en Caton;
Courtisan dans Versaille, et monarque en province,
De Parfait courtisan il s'est montré grand prince,
Et goûtant le présent, prévoiant l'avenir,
Sut faire également sa cour et la tenir.

Il y a eu peu de choses monseigneur, à changer dans les vers de Corneille pour faire votre caractère, et c'étoit à son pinceau qu'il apartenoit de Vous peindre, j'entends pour L'élévation de votre âme; car pour tout le reste prenez s'il vous plait La Fontaine, et quelquefois même L'Aretin. Pour moy chétif je prends la liberté de vous envoyer pour vos étrennes un petit catéchisme qui convient fort à votre honnête façon de penser. La dévotion aisée du père Lemoine m'a donné le sujet, et toute votre vie en fait L'aplication. L'ouvrage a été fait pour un grand prince qui pense comme vous sur tout, et qui régnera un jour, comme vous régneriez si la fortune avoit été pour vous aussi loin que la nature. La seule différence présente entre ce prince et vous, c'est qu'il m'écrit souvent, et cette différence est acablante. Mais point de reproches; ne pensez pas monseigneur le duc que je me plaigne, ny même que je veuille que dans la rapidité des affaires, des devoirs et des plaisirs vous perdiez du temps à m'écrire. Dites moy une fois par an, je vous aime et je vous aimeray. Cela suffira. Un mot de vous me reste dans le cœur une année pour le moins.

Non encor une fois, ne m'écrivez point, mais continuez à être Othon. Votre gloire m'enchante, et mon cœur se joint à tous ceux que vous charmez.

Je vous en dis autant princesse adorable née pour plaire, aux grands comme aux petits, vous dont la passion dominante, après l'amour de votre mary, est celle de faire du bien.

Il y a dans le paradis terrestre de Cirey une personne qui est un grand exemple des malheurs de ce monde et de la générosité de Votre âme, c'est madame de Grafigni. Son sort me feroit verser des larmes si elle n'étoit pas aimée de vous. Mais avec cela qu'a t'elle désormais à craindre? Elle ira dit on à Paris, elle sera à portée de vous faire sa cour, et après Cirey il n'y a que ce bonheur là. Régnez en Languedoc, régnez partout madame et daignez dire en lisant cette lettre, j'ay outre mes sujets un esclave idolâtre qui s'appelle

V . . . .