Vous saués bien mon cher ami que ie ne puis être longtems sans v͞s escrire et sans receuoir de vos nouuelles.
V͞s ne m'aués point répondu à ma dernière lettre, mais sûrement v͞s pensés à ce dont ie v͞s y ay prié. Ie voudrais que ces six Epitres fussent finies, p͞r n'en plus rien craindre. Celles du tien et des plaisirs ne me paroissent pas trop faittes p͞r le sot public, et ie puis v͞s assurer qu'elles ne sortiront de Cirey qu'auec votre attache du moins si i'en suis cruë, car on ne me croit pas toujours.
Voicy vne bonne nouuelle. Il y a vne tragédie comencée dont vn acte est presque fait, ie n'en connois que le plan, mais s'il est remply, cela sera bien attendrissant. V͞s en aurés sûrement les prémices, et il n'i a que v͞s, m͞e de Chambonin et moi qui le sachions. A la rapidité dont il trauaille ie ne désespère pas de v͞s en Envoyer la première Epreuue p͞r vos Etrennes. Il auroit bien tort d'abandonner les vers, il ne les a jamais faits si facilement, et sa plume peut à peine suiure le torrent de ses idées. Votre goût p͞r le théâtre est ce qui le soutient le plus, dans cette carrière, et le plaisir de v͞s Enuoyer cette nouuelle production de son génie est vne de ses récompenses. On parle de méditations sur le caresme que l'on dit pleines d'athéisme et que l'on a la méchanceté d'attribuer à votre ami, cependant il est bien loin d'être athée et encore plus loin de penser à de pareils ouurages. Ie ne lui en ay rien dit, car il est inutile de l'inquiéter, et malgré la disposition que i'ay a m'alarmer ie ne crains rien quand ie n'entens point parler de vous. Adieu mon ange tutélaire, ne n͞s abandonnés pas, v͞s saués si v͞s deués n͞s aimer, et à quel point nos cŒurs sont à uous.
à Cirey le 12 10bre 1738