à Paris ce 30 août 1738
Lorsque j'ai reçu, monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, je pensais à vous remercier de l'ouvrage dont vous m'avez fait présent.
Je l'attendais avec la même avidité que le public: on est attentif dans ce pays à tous les ouvrages d'esprit, mais principalement à ceux qui par leur air de nouveauté peuvent exciter la curiosité. Vous devez savoir, monsieur, que les vôtres sont achetés rapidement; plus on a de connaissances, plus on court où l'on croit en trouver davantage. Ne soyez point surpris que le manuscrit m'ayant passé entre les mains par l'ordre de monseigneur le chancelier, je l'aie relu à l'impression; on relit volontiers les ouvrages d'éclat. Exposé (par l'examen que j'ai été obligé d'en faire) à toutes les demandes, on ne cessait de m'interroger. Quoi, disait on, monsieur de Voltaire sera-t-il poète, historien, géomètre? A beaucoup d'ignorants cela semble se contredire; aux génies de médiocre étendue, cela est inconcevable. Les objections fréquentes qu'on faisait à votre ouvrage, c'est qu'il y avait beaucoup de fautes dans l'édition d'Amsterdam. Présentement, monsieur, que j'ai lu l'ouvrage imprimé qui porte le nom de l'édition de Londres, précédée de quatre mois par celle d'Amsterdam, je l'ai trouvé semblable à tout ce que j'avais lu dans votre manuscrit. Voilà le témoignage que je me crois obligé d'en porter pour la vérité, par ce que je n'y ai trouvé aucune altération. Monsieur Pitot, dont le mérite est connu, en peut asseoir le même jugement.
Je suis très fâché de votre maladie, rétablissez votre santé, pour que le public & moi puissent jouir des fruits de votre solitude. J'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite estime,
Monsieur,
Votre très humble & très obéissant serviteur,
Montcarville