1760-09-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Christophle de Laffrusse de Seynas.

Monsieur,

Soufrez que j'aye l'honneur de m'adresser à vous.
Un nommé Rigolet, espèce de libraire de votre ville, a envoyé un libelle affreux imprimé par luy, à un nommé Bardin, libraire genevois. Ce libelle est intitulé dialogues crétiens par mr V, Geneve 1760. L'église de Lyon et celle de Geneve y sont également insultez. J'ay porté mes plaintes au conseil de Geneve. Bardin interrogé a répondu qu'il tenait ce libelle et plusieurs autres de Rigolet qui les fait imprimer à Lyon.

Rigolet a eu de plus l'insolence de m'écrire la lettre cottée A par la quelle il m'instruit qu'il possède un autre libelle détestable intitulée épitre du diable.

En même temps il a écrit à Rigolet la lettre cottée B par la quelle il luy promet des exemplaires de ce même libelle qu'il juge excellent.

La conduitte de ce malheureux doit être sans doutte réprimée et punie. J'en écris à M. le duc de Choiseuil et à M. le chancelier. Mais je m'adresse principalement à vous Monsieur, voulant vous devoir uniquement la suppression d'un tel scandale.

Rigolet possède encor le manuscrit du libelle des dialogues crétiens dont il a fait passer cent exemplaires à Genève. Je vous supplie monsieur de vouloir bien avoir la bonté de vous faire représenter le manuscrit, et de daigner me l'envoier sous mon reçu si vous n'aimez mieux l'envoier au conseil de Geneve. Je vous aurai une extrême obligation. C'est une grâce que je vous demande instamment.

J'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhome orde du roy