1738-08-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je vous remercie bien tendrement mon cher amy de tant de bons passeports que vous avez donnez à cette philosophie de Neuton.
Vous êtes acoutumé à faire valoir plus d'une vérité venue d'Angleterre. Mr Cousin vous donnera tant d'exemplaires que vous voudrez. Voulez vous vous charger d'un pour mr Palu, d'un pour Mr de Chauvelin, intendant d'Amiens? ou voulez vous que je m'en charge?

Je suis bien étonné que cette lettre imprimée contre mes éléments soit du père Renaud. Elle n'est pas digne d'un écolier. Je crois que j'y réponds de façon à forcer l'auteur à être fâché contre luy même, et non contre moy.

Nous avons icy un fermier général qui me paroît avoir la passion des belles lettres. C'est le jeune Helvetius qui sera digne du temple de Cirey s'il continue. Voyla Minerve réconciliée avec Plutus. Mr de la Popliniere avoit déjà commencé cette grande négociation. Je doute qu'on y réussisse mieux que luy.

Ce qui me fait le plus de plaisir dans la copie de la lettre trop flateuse pour moy que vous a écrit notre prince, c'est qu'il vous parle avec confiance. Plus il vous connaîtra et plus son cœur s'ouvrira pour vous. Aparemment que cette lettre où il prend mon party avec tant de bonté est en réponse à la satire injurieuse et absurde du père Renaud et à d'autres ouvrages contre moy que vous luy avez envoyés. Si je ne craignois d'oposer trop d'amour propre à ces injures, je vous dirois de luy envoyer les témoignages honorables, aussi bien que ceux qui peuvent me décrier. Je pourois faire voir que je ne suis ny si hai, ny si méprisé qu'on le fait acroire à ce prince dont le goust et les bontez s'affermissent par ces infâmes injures. Je vous montrerois entre autres choses, cette ode qu'un magistrat de baucoup d'esprit vient de m'envoyer. (Je ne sçai plus où je l'ay mise). Mais je crois que cela convient mieux pour remplir une feuille du pour et contre, ou pour le mercure, que pour un prince à qui il ne faut que des choses véritablement bonnes.

Voudriez vous bien ajouter à tous les soins que vous prenez, celuy d'envoyer en Angleterre, ces deux petites questions? Si on pouvoit obtenir quelque dissertation sur ces matières, qu'on feroit venir sous le couvert de L'ambassadeur, ce seroit une faveur insigne que vous me feriez. Mon cher amy voicy bientôt le temps où l'on vous possédera à Cirey. J'ay baucoup de choses à vous dire qui sont pour vous d'une extrême importance.

Je vous embrasse tendrement.