1738-02-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ay reçu mon cher amy votre lettre et les paquets de Berlin.
Notre prince en vérité est plus adorable que jamais. J'aurois bien des choses à vous dire de luy et je voudrois bien luy avoir l'obligation de vous attirer à Cirey. Ma foy j'ay envie de luy demander qu'il envoye à madame du Chastelet un second ambassadeur et que cet ambassadeur soit vous.

Je ne reçois point de nouvelles de mes nièces. Les noces les occupent. Je pourais me plaindre que La Mignot ait préféré l'abominable séjour de Landau à notre vallée de Tempé mais vous savez que je veux qu'elle soit heureuse à sa façon et non à la mienne.

Je n'ay point vu la gressade ny L'Amour propre de Delile. Je les feray venir si vous les jugez dignes des regards D'Emilie. J'écris pour avoir ce receuil de Ferrand dont vous me parlez, mais je vous avoue que je suis toujours, dans des transes, que ces maudits livres ne troublent mon repos. Jepardonne aux almanacs du Diable, mais je crains la calomnie. Je crains qu'on ne m'impute des vers de l'abbé de Chaulieu qu'on a déjà mis sur mon compte.

Je vous demande en grâce mon cher amy de me mander sur le champ, ce que vous savez de ce livre, s'il fait du bruit, s'il y a quelque chose à craindre des calomnies du monde que vous habitez. Je vous prie de ne pas perdre un instant, et de me tirer de l'inquiétude où cette nouvelle m'a mis. Ecrivez moy souvent je vous en prie. Vos lettres ajoutent toujours à mon bonheur. Adieu. Ne vous verra t'on jamais?

V.